sous
haute tension
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Noir Désir (Bertrand Cantat, Jean-Paul Roy, Denis Barthe
et Serge Teyssot-Guay): au Québec en 2002? |
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Chaque
nouveau disque de Noir Désir a l'air d'une renaissance. En plus de 15
ans d'existence, le fleuron du rock français n'a jamais cessé d'être
au bord de l'éclatement. Enragé, engagé, passionné jusqu'à la moelle,
le groupe s'est retrouvé en repos forcé plus souvent qu'à son tour,
les cordes vocales de son valeureux chanteur, Bertrand Cantat, résistant
de peine et de misère aux enfilades de concerts déchaînés.
Entre
chaque résurrection, il faut prendre son mal en patience. Quatre ans
entre le furieux Tostaky et l'inégal 666.667 Club, sorti
en 1996. Cinq autres années avant l'excellent Des visages, des figures,
album encore tout chaud, où Noir Désir renoue avec la lenteur et la
fragilité de ses deux premiers disques, en plus d'étoffer sa palette
sonore d'une touche d'électronique.
«On a pris le temps de faire ce qu'on voulait. Il n'est pas question
de renier la furie passée, mais on avait envie d'autre chose, explique
Cantat à partir de son domicile bordelais. Ça ne suffit pas en tant
qu'être humain d'être juste un gueulard. Je n'ai d'ailleurs jamais pensé
qu'on n'était que ça. C'est bon de crier, mais si on gueule tout le
temps, on ne se rend plus compte que c'est un cri. Il faut explorer
toutes les nuances de ce qu'on est en tant qu'être humain.»
Moins emporté que tous les disques enregistrés par Noir Désir au cours
des dix dernières années, Des visages, des figures laisse beaucoup
de place à la guitare acoustique. Ramollis, Cantat et compagnie? Pas
vraiment. L'album est traversé d'une sourde tension. À l'envers à
l'endroit et L'Europe (écrite en collaboration avec Brigitte
Fontaine), notamment, peignent un monde qui fonce directement dans un
mur. «On pourrait même envisager que tout nous explose à la gueule»,
chante d'ailleurs Cantat, d'une voix plus nuancée que de coutume.
Ç'a pété, comme on le sait. Cantat l'avait presque prédit dans Le
Grand Incendie, où il évoque l'écroulement de Paris et le feu partout
à New York City. Ironie du sort, le disque est sorti en Europe le...
11 septembre. Le genre de coïncidence qui donne le frisson. «Ne m'en
parle pas!» lance d'abord Cantat. Puis, il se reprend: «J'ai passé deux
jours dans un état vraiment étrange. Ça faisait bizarre d'avoir écrit
ça, à New York en plus, après une ballade entre Times Square et les
tours jumelles... Ça fait partie de ces chansons qui s'écrivent toutes
seules. Rien à voir avec du Nostradamus de pacotille, ce sont tout simplement
des ondes. J'y crois, aux ondes.»
Engagé contre le fascisme, critique depuis toujours de la Sainte-Guerre
économique (la chanson Holy Economic War date de 1990), Noir
Désir est un groupe vigilant. «Je suis persuadé que le monde, sur ses
bases actuelles, ne peut durer éternellement, affirme Cantat, se référant
notamment aux inégalités et à la destruction de l'environnement. Le
système est complètement buté et ne permet pas l'avenir de l'humanité.
C'est incroyable qu'on ait fait des conneries au point de ne pas être
sûr d'assurer la survie de la planète!»
Facile de parler politique avec Cantat. Tellement facile qu'en plus
d'avoir été catapulté porte flambeau du rock hexagonal, Noir Désir passe
aussi pour le porte-voix d'une certaine gauche française. Des étiquettes
lourdes à porter, on s'en doute, qui tendent aussi à jeter de l'ombre
sur l'autre élément fondateur de l'écriture de Cantat, les chansons
d'amour. Les Écorchés, Si rien ne bouge ou Le vent
nous portera, tirée du dernier disque, sont autant d'odes à l'amour
total, celui qui déchire au moins autant qu'il fait léviter.
«Elles fondent l'identité de Noir Désir au même titre que les autres,
approuve Cantat. On a fait quelques festivals cet été et on commençait
justement par Si rien ne bouge, qu'on ne jouait plus depuis longtemps.
C'est une chanson qui correspond à la palette sonore du dernier disque,
elle aurait pu s'y retrouver.» Même tension sous-jacente, même solide
guitare acoustique, même cri passionné, en effet.
Des rumeurs relayées par quelques journaux français au début de l'automne
laissaient croire que Noir Désir ne tournerait pas. «C'était notre propre
rumeur, avoue Cantat, mais on est pris d'une envie de le faire, de relever
le défi d'introduire tout ce qui est matière nouvelle dans ce disque
et de le ramener sur scène. Ça nous fait un peu flipper», avoue le chanteur.
Durant ses grandes années de défonce aux guitares furibondes (plus ou
moins 1991 à 1994), Noir Désir n'a pas traversé l'Atlantique une seule
fois. Les choses se passeront différemment cette fois, semble-t-il.
Une virée au Québec serait même au programme avant la tournée européenne.
«On va pratiquement commencer chez vous en mars 2002. On verra tout
de suite si c'est bon, lance Bertrand, c'est vous qui nous le direz!»
Pas de problème, on vous attend.
Alexandre
Vigneault - collaboration
spéciale, La Presse
(24
novembre 2001)
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