Une émission de Laurent Lavige

Portrait de Noir Désir



Qui sont ces quatre jeunes qui refusent de venir chercher leur victoire de la musique, qui s’engagent pour soutenir Act up, Choléra No, et luttent sur le terrain contre l’extrême droite ?
Quel est ce groupe que l’on qualifie de majeur dans le rock Français depuis maintenant deux décennies ?
Fans de AC/DC et de Led Zeppelin, de Antonin Artaud, Lautréamont, Kalfa et Maïakovski.
C’est Noir Dèz, autrement dit : Noir désir.

Les plants rebelles ont poussé sur les bords de la Garonne, à Bordeaux.
C’est au lycée, en classe de seconde que Serge Cantat et Bernard Teyssot-gay se lient d’amitié. Quelques mois plus tard, ils rencontrent Denis Barthe dit Nini..
Les trois garçons partagent la même passion pour la musique. Serge chante et joue de la guitare, Bernard est également guitariste et Denis tient la batterie.
Le groupe se forme officiellement en 81 à l’occasion d’une fête.
Les garçons se font appeler « Psychoz » puis « 6.35 » ,« Station Désir » et optent finalement pour « Noirs Désirs » au pluriel.
Nom qui exprime justement leur mal de vivre, leur vision pessimiste, sombre et tourmentée.
En 1982, Frédéric Vidalenc, du groupe local « dernier métro », remplace leur bassiste. Il sera le quatrième pilier du groupe.
Après des aller-retours des membres, le groupe trouvera son équilibre pour la grande aventure.
Ensemble, ils reprennent des morceaux des who, de Led Zep et de AC/DC. Jusqu’en 85, leur répertoire est très inspiré par le punk.
Ils se maquillent, aiment les Doors, Jeffrey Lee Pierce et son Gun club

En 1986, ces jeunes passionnés classés dans les indépendants, signent pourtant chez la major compagnie : Barclay.
Les dénommés « Noir Désir », au singulier cette fois, partent pour une tournée interminable.
C’est sur scène, où il déploie une énergie féroce et contagieuse que le groupe va séduire et s’attacher un public d’irréductibles.
L’impact du chanteur Bertrand Cantat est indéniable. Bête de scène, beau gosse rebelle et revêche, séducteur bégueule, dans la lignée de Jim Morrison, collier indien et cuir moulant, il est l’image du rock décadent qui plaît aux filles et aux garçons.
En 1987 ils sortent un six titres intitulé : « Où veux-tu que je regarde ? »
Ils l’enregistrent en 18 jours à Bruxelles, comme les deux suivants. Leur rock est viscéral et fougueux, dur et pur.

C’est l’explosion d’une multitude de groupes issus des mouvements alternatifs comme Les négresses vertes, les Béruriers noirs, les Satellites, Ludwig von 88, la Mano Negra, les Wampas, et bien d’autres.
En 1989, Noir Désir sort : « Veuillez rendre l’âme (à qui elle appartient) ». Ils ont engagé Phil Delire comme ingénieur du son pour ce disque dans la veine des Doors et du Velvet underground.
Une ambiance lyrique et sombre servie par un rock nerveux et incisif.

« Les sombres héros de l’amer » rentrera dans le top 50, ce sera leur premier disque d’or.
Le succès pousse le groupe à affirmer radicalement ses positions.
Il décroche la récompense du bus d’acier, mais se défend de donner de l’importance aux honneurs médiatiques.
Sur leur tournée nationale et internationale qui le mène d’un bout à l’autre de la planète. Il refuse de se produire dans des salles plus grandes que l’Olympia.
Enfin, pour la promotion de leur album, les membres sélectionnent les émissions audiovisuelles, n’hésitant pas à décliner certaines invitations pour des questions d’éthique.
En crise avec sa maison de disque, Noir Désir s’accroche pour garder le contrôle, mais la pression est énorme.
En 1990, ils sortent l’album « Du ciment sous les plaines ». Produit par le groupe en collaboration avec Phil Delire et Olivier Genty, Le collectif signe la musique. Les textes de Bertrand Cantat tendent vers une dimension poétique, par un jeu d’association d’images, dans un style ou se mêle dérision et désespoir.

Le disque n’est pas bien accueilli par les critiques, le groupe se sent victime de l’incompréhension.
« On sait bien que l’on n’a pas toujours réussi notre coup... Mais il y avait le goût de la liberté. On a osé pas mal de choses. » dira Bertrand.
Sans promotion, ni tube, l’album se vend à 120 000 exemplaires. Noir Désir a ses adeptes.
De nouveau ils partent sur les routes pour une tournée marathon, dont 12 dates mémorables à l’Élysée-Montmartre.
Fatigue, pression, Bertrand Cantat craque, il n’a plus de voix. Les garçons devront interrompre leurs concerts.
Le groupe met à profit cet incident et fait un break. Chacun part se ressourcer de son côté. Bertrand voyage, Fred fait du bateau, Serge bucolique séjourne à la campagne et Denis rentre à Bordeaux.
La scène musicale est secouée par la montée du grunge et de la fusion, avec des groupes comme Nirvana et « Rage against the machine ».
La Mano se dissout, fin 92 Noir Déz file en Angleterre pour enregistrer son nouvel album intitulé : « Tostaky », contraction de todo esta aqui qui signifie tout est là, soit : le continent.

Ted Niceley, le producteur indépendant de Hard Core californien qui s’est occupé du groupe Fugazi et des Dirty hands, les aide à se débarrasser des problèmes techniques pour approcher leur son et le conserver sur l’album.
Tostaky offre un rock débridé et percutant, tout en puissance, assorti d’une réflexion politique, et d’un esprit de révolte. Des formules chocs, des associations d’images, des textes empreints de poésie.

Cet album consacre Noir Désir.
Sur la pochette de l’album, le groupe est photographié de dos.
Fermement et définitivement, il dicte ses règles, revendique son indépendance, et confirme l’identité et la cohésion du collectif.
Sur scène comme à la ville, les garçons sont simples, authentiques.
Énervés par les médias, ils entretiennent des rapports houleux avec certains journalistes auxquels ils reprochent leur ton méprisant. Cantat se bat contre le statut d’idole qu’on cherche à lui faire endosser. Nouveau tourneur et nouveau manageur pour un groupe qui a le vent en poupe, et se lance comme à son habitude dans une énorme tournée.
Concerts fiévreux, show incisif qui transporte son public dans un état proche de la transe.

Le groupe s’arroge le droit de mener sa carrière comme il l’entend. Afin de casser les mécanismes de création, l’automatisme des concerts, les garçons s’arrêtent. Une interruption pour se ressourcer, prendre du recul et se renouveler.
Les membres de Noir Désir protègent farouchement leur vie privée, se défiant des médias et du star system. Ils surveillent étroitement ce qui à trait à leur carrière, et demeurent inflexibles sur leurs prises de positions idéologies, épaulés dans leur détermination par leur maison de disque, avec laquelle ils entretiennent une entente sereine depuis qu’ils ont vendu 350 000 albums.
De la Fête de l’huma au Bol d’or, Noir Désir fait l’unanimité.
Au terme d’une nouvelle tournée triomphale de 120 dates, ils publient un double album live en 1994 « Dies Irae » ou : jours de colère.
Furie et puissance, leur fougue est intacte, ces garçons là ont décidément la rage

Une tension électrique et pulsionnelle, un constat amer sur le monde corrompu, qui s’achève sur un final de 15 mn de silence.

Cantat a de nouveau des problèmes de voix. Après avoir subit une opération de polypes, il apprend à chanter différemment. Désormais, sa voix sera plus rauque et plus basse.
Les autres membres s’activent différemment. Denis Barthe tient la batterie dans le groupe bordelais Edgar de l’Est. Serge Teyssot-Gay joue avec Little Bob, et se lance en solo pour un album intitulé « Silence radio ».
Cette fois, l’évolution du groupe implique le départ de Frédéric Vidalenc. Il sera remplacé à la basse par Jean Paul Roy.
En 1996 Noir Désir nouvelle formation revient avec « 666 667 Club » titre inspiré par un métronome électronique (666.667 Club, Fin de siècle, Un jour en France, L’homme pressé (en boys band dans le clip)...)

Noir désir, avec la complicité de Ted Niceley, produit un album plus éclectique que Tostaky.
666.667 Club intègre de multiples éléments musicaux : Choeur d’enfants, violon tzigane, cloches tibétaines, bombarde transylvaine, sanza.... Une profusion de nouveaux instruments exotiques apportés par le hongrois Akosh Szelevenyi.
Le mélange est magnifiquement orchestré et la magie opère.
Pour beaucoup c’est une révélation.
Sur la pochette du disque, un ciel lumineux et électrique, comme une fenêtre ouverte .
Au fil des albums, le style de Cantat s’est peaufiné. En Anglais ou en Français, il embroche les images, percutant, acide et sans compromis. Noir Désir est un groupe politiquement et foncièrement engagé dans ses textes et sur le terrain.
Contre le FN, la mondialisation, le tout économique et la langue de bois. Aux côtés des sans papiers, aidant à subventionner la scolarité des enfants Africains, apportant son soutien au commandant Marcos et aux indiens Chiapas, à l’association Act up...
Ils se mobilisent et utilisent leur pouvoir médiatique pour sensibiliser leur public aux causes qu’ils défendent.

Plus mature, moins parano, peut-être moins fragile, Noir désir écume cette fois les Zéniths, et calme le rythme des dates.
Sur scène, le groupe est plus mesuré. Il met en avant la réflexion, les sensations. Mais ne nous y trompons pas, même si l’attitude a évolué, ce sont plus que jamais des guerriers au souffle libertaire.

Vainqueur des Victoires 97, meilleur groupe de l’année et meilleure chanson de l’année pour « L’homme pressé ».
Noir désir décline l’invitation, mais adresse un message dans lequel il remercie ceux qui ont votés pour lui et signale qu’il existe des combats plus importants que de telles cérémonies.
Les membres du groupe partent s’enrichir de nouvelles expériences.
Bertrand reprend en duo avec les 16 Horsepower les titres « The partisan » de Léonard Cohen et « Fire spirit » de Gun club. Il joue également avec le groupe Akosh S Unit et voyage le reste du temps.
En 1998, sort un album hommage à Jacques Brel, qui a pour titre : « Aux suivants ». Noir Désir interprète sa version de « Ces gens là »

La même année, Noir Désir publie un album de remixes « One trip one noise ».
DJ et artistes en tous genres, revisitent la discographie de Noir Désir. Au final, 13 titres reliftés pour un album protéiforme et cependant cohérent.
« cette expérience nous a vraiment éclairés sur les limites d’un groupe de rock » dira Bertrand, et parlant des titres remixés : « on les assimile, on va les ressortir sous une certaine forme ».
Voici la version dub de « One trip one noise » par Treponem Pal

Noir Désir multiplie les actions.
Il apporte son soutien au Gisti (groupe d’information et de soutien aux immigrés) pour la compilation « Liberté de circulation », participe au concert organisé par le syndicat anarchiste, à un autre au profit d’une association pour les autistes, à un troisième à Millau au profit de José Bové... La liste est longue.

Outre leur engagement politique sur le terrain, les membres du groupe aident les jeunes formations en les prenant en première partie de leurs concerts, et multiplient les participations diverses avec d’autres musiciens : les hurlements de léo, Alain Bashung, Yan Tiersen, Les têtes raides, little Bob leur parrain, Brigitte Fontaine... etc
Ils apparaissent également sur des bandes originales de film comme : « Marie, Nonna, la vierge et moi » ou encore « Bernie » de Dupontel.

Serge se remet à un album solo qui sortira en Novembre 2000. En 2001, Ils rendent hommage à un autre des pères de la chanson Française George Brassens, avec une reprise du titre : « Le roi »

Ce processus d’ouverture permet aux membres de s’épanouir individuellement, et à fortiori, enrichit le groupe, qui passe avec brio le cap de la maturité et sauvegarde sa motivation.
C’est au Maroc qu’ils s’exilent pour trouver l’inspiration de leur nouvel album « Des visages et des figures » Conçu aux quatre coins de la France et même à New york.
Les riffs enflammés de guitares électriques cèdent la place aux envolées de cordes, aux improvisations déjantées d’Akosh, à la diction incantatoire de Fontaine, à la délicate et simple prestation de Manu Chao, aux boucles hypnotiques.
Les bordelais étoffe leur univers musical et parcourent de nouveaux registres. La trame mélancolique est toujours présente, mais la puissance du groupe ne passe plus par la tension maximum et la fureur. Cantat plus posé, ose des gammes jusqu’alors inexplorées.
Nick Sansano le producteur de Sonic Youth et Public Enemy, et Jean Lamoot, le producteur de l’album « Fantaisie militaire » de Bashung orchestrent cette évolution.

Nominé aux NRJ Music Awards, en Mars 2002, Noir Désir remporte les victoires de la musique, élu meilleur groupe, meilleur album Rock de l’année pour « des visages et des figures ». Meilleure chanson et meilleur clip vidéo pour « Le vent l’emportera ».
Pour les raffle-tout cette fois présents, la reconnaissance du milieu n’est pas la chose la plus importante. La compétition, ne compte pas.
Par contre défendre leur intégrité, ne pas se fourvoyer est essentiel.
Ils lisent en direct une lettre ouverte à l’intention de Jean-Marie Messier, alors PDG du groupe Vivendi Universal.
Outre le qualificatif de « menteur » et l’expression « Camarade » employée à son adresse, le groupe remet les pendules à l’heure : « Nous ne sommes pas dupes de ton manège. »

Et il conclue par « On est décidément pas du même monde ».
En début d’année, Serge Teyssot-Gay sort son nouvel album solo...
L’histoire continue de s’écrire ...
De nouveau ils ont levé les voiles.
Farouchement indépendant et attaché à sa liberté
Le fleuron du rock hexagonal donne des leçons :
Grandir sans se trahir.
Évoluer sans rien renier.

 

Merci à http://www.radiofrance.fr