1  Nananà nananà 
  2  Coule la vie 
  3  Probablement 
  4  Au bout 
  5  1, 2, 3, 1000 vietnam 
  6  Nuvole & Blériot 
  7  Lazlotoz 
  8  Va tutto bene 
  9  Petits feux 
  10  100.000 
  11  Ca y est 

 

Giorgio Canali est un italien bien connu des français. En effet il a été, durant 5 ans, l'ingenieur du son de Noir Désir. Maintenant il sort son album solo, avec tout de meme l'aide de ses vieux amis, tel que Bertrand Cantat qui lui donne quelques bons conseils pour le chant. Sans oublié Akosh et Sergio (toujours du groupe Noir Désir) qui viennent donner la main a la patte à leur ami transalpin.

Le son de l'album est rock. Les textes sont parfois italien parfois français, un mélange sympatique qu'il est necessaire de découvrir.

 

"1000 Vietnam" est un album attachant, intrigant, mêlant affinités et cultures franco-anglo-saxones à un feeling à la musicalité italienne. Il nous permet ainsi de renouer des liens avec cette école, qui depuis les années I.R.A. et les découvertes successives de Litfiba, Moda et Violet Eves, nous a laissé sans nouvelle.

Le parcours français de Giorgio est lié à cette époque puisque c'est lors d'une tournée hexagonale du groupe de Piero Pelù, sur laquelle il assurait le son, qu'il rencontre Noir Désir. Durant cinq ou six ans, il deviendra le sonorisateur attitré des Bordelais et confortera ses amitiés et sa position d'ingénieur du son en enregistrant, entre autres, les potes Mush et A Subtle Plague. Tout est histoire de famille et de ramification ; si l'on retrouve sur ce premier album solo Sergio et Bertrand, on n’en oubliera pas la présence du saxophoniste hongrois Akosh Szelevenyi.

Mais le rôle tenu par Bertrand ne se limite pas à la simple participation amicale comme jadis, au chant ou à l'harmonica, sur les albums Dominic Sonic, Théo Hakola, A Subtle Plague, 16 Horsepower. C'est en coach, réalisateur artistique des parties vocales chantées en français, qu'il intervient et l’on retrouve par ailleurs quelques traces inconsciemment choppées ou sûrement apprises de Bertrand dans le phraser de Giorgio. C'est sans complexe, et avec raison, que ce dernier accepte la remarque :

"Le travail de production, c'est un truc que je sais très bien faire chez les autres. Je savais pouvoir y arriver sur ma voix en italien, mais j'avais des doutes pour les parties en français. J’étire les voyelles, arrache les consonnes, j'avais besoin de savoir si ça se comprenait. J'ai cherché ce qu'il y avait de mieux pour moi. Mon chanteur préféré, mon écrivain préféré, celui que j'ai le plus entendu c'est Bertrand. C'est un ami, il était disponible. À partir de là, il y a rien à dire de plus."

Pour la production, qu'on ne s'étonne pas d'y entendre la même électricité, toute en intensité retenue, que sur le "No reprise" de A Subtle Plague capturé en 95 par Canali.

"J'ai conçu de la même façon le son des cinq ou six derniers albums que j'ai produits. La musique électrique, il n'y a pas 36 000 façons de la traduire. Ou tu fais une grosse production où tout sonne terriblement bien, ou tu fais un truc où quelque chose se passe, où tu donnes de l'émotion. Si le reste tu ne l'entends pas, c'est pas grave. C'est un peu comme une recette de cuisine que tu fais à la maison sans suivre de livre. Tu mets tes trucs à toi, c'est jamais parfait, mais ceux qui viennent manger chez toi trouvent ça très bien, original."

L'écriture des textes reste elle aussi propre au style et à la personnalité de Giorgio. Elle se veut aussi anarchiquement inspirée que son auteur, fonctionnant au franc parler, aux collages de sons et d'images, et à l'emploi, c'est selon, du français ou de l'italien.

"C'est un peu un hasard, j'ai une culture musicale de quelqu'un qui a vécu à cheval entre deux pays. «a s'est produit comme ça sans préméditation, des phrases qui me trottaient dans la tête, l'envie d'employer certains mots. J'avais déjà quelques morceaux, certains ont dix ans, et j'ai toujours avec moi, ma gratte, mon petit ampli, mon carnet. Doucement, sans idée particulière on a enregistré petit bout par petit bout. C'est un disque qui en Italie n'a pas un potentiel énorme. Par rapport à C.S.I., c'est totalement différent et dans une langue incompréhensible. C'est difficile de faire comprendre au public italien qu'il est possible de chanter dans une langue autre que l'italien et l'anglais. C'est plus facile pour moi de délirer en français, je n'ai pas la honte de sortir des sillons de la bonne écriture, de la bonne forme. Là je chie mes paroles, on les ramasse, on les colle, si on comprend tant mieux, sinon tant pis. Souvent je me suis retrouvé à vérifier des tournures auprès de copains qui me disaient que l'on ne dit pas comme cela. Rien à cirer, ça se comprend, alors très bien."

Mais le morceau qui dans le texte paraît le plus délirant est chanté en italien. "Lazlotoz" donne d'ailleurs en Italie le nom à ce "1000 Vietnam" V.F., dont la version transalpine se voit différente. Si l'on retrouve cette même alternance de chansons en français et en italien, l'ordre des morceaux est changé, quand d'autres titres viennent la compléter :

"L'album s'appelle en Italie", "Où est passé Lazlotoz ?". C'est un personnage qui n'est pas connu dans le monde entier et qui pourtant est à l'origine, en 72, d'un drame pour l'humanité toute entière. C'était un fou qui est entré à Saint-Pierre muni d'un marteau et a cassé la Pietà de Michel-Ange. Et la culture occidentale avec... Ce mec-là a été mis en prison et on en n’a plus jamais entendu parler. C'est un truc qui me revenait souvent : "Où il est passé Lazlotoz ?" À un certain moment, j'ai eu le délire de faire un texte où Dieu a une vie complètement banale ("Il hoche la tête, il se lève, il s'étire, va vers le frigidaire à la conquête d'une autre bière...") dont le seul espoir est de retrouver cette figure mythique, capable de tuer une oeuvre d'art."

En démystification, Canali se pose en expert. Sur "1, 2, 3, 1000 Vietnam", c'est "cet enculé d'Hemingway" qui est passé sur le grill. "C'est une copine qui me racontait que lors d'un voyage à Cuba, elle avait visité sa villa. Il était bien vu, estimé du régime de l'époque... J'ai toujours trouvé son oeuvre fausse, il utilisait des sentiments universels pour se remplir les poches..."

Un discours, des positions, des textes pleins de surprises qui traduisent un certain besoin d'écriture et de communication, et deux romans sous le coude.

"J'en ai terminé un qui d'après moi est nul, quant à l'autre, c'est le plus beau livre que j'ai jamais lu mais il n'arrive qu'à la moitié. Pour cet album, j'avais vraiment envie d'écrire des chansons et pas uniquement de la musique, je l'ai fait pendant des années pour des groupes, des B.O. J'avais envie de raconter. L'écriture c'est un truc qui reste humain. Si tu communiques des choses de façon un peu cryptée, il n'est pas question de balancer des perles aux cochons, j'espère que ça apparaît comme un cadeau à celui qui comprend. Il m'arrive d'écrire des choses complètement pétées, la tête à côté de la plaque et les meilleures choses, je les écris comme ça, en étant pas bien, en communiquant un mal-être. Parfois il y a de la musique qui se colle dessus, parfois c'est difficile, alors j'espère qu'il y a un livre qui va sortir un jour ou l'autre."

Il est à parier que ces exercices longue durée recèlent des trésors cachés qu'il sera bon de lire à deux fois afin de distinguer l'humour du réfléchi, le sérieux du spontané, le brut du stylisé, la provoc de la sincérité. De quoi faire le tri dans le puzzle d'une création, dont "1000 Vietnam" pourrait bien être la pièce annonciatrice d'un culte en devenir.

Bruno Aubin