Des Visages des Figures

Tournée au Proche Orient

 

© B. Jamot / nocsi / ensa / 2000

Noir Désir pose ses mots à Beyrouth. En tournée au Proche-Orient, le groupe français a fait salle comble au Liban.

 

 

"De toujours rêver dans la région ce n'est pas chose facile ", fredonne Bertrand Cantat entre deux chansons. C'est un message couvert, à l'adresse du public libanais, pour signifier qu'il sait qu'à Beyrouth, où Noir Désir est en concert ce samedi 6 avril, on ne peut pas toujours dire ce qu'on pense. Dans la très officielle salle de l'Unesco, où a lieu le spectacle, un lourd rideau de velours rouge, sur lequel s'étale une photo du président de la République, est ouvert sur le fond noir de la scène. Organisée par la mission culturelle française, la tournée de Noir Désir dans la région a commencé le 2 avril en Syrie, à Alep, pour s'achever le 12 en Turquie, à Istanbul, en passant par le Liban et le Yémen. Le groupe a réduit son cachet à 4 500 euros, juste de quoi rémunérer l'équipe technique, pour que ce circuit soit possible.

«A Paris, ils étaient ravis qu'on vienne dans la région, surtout qu'on n'a pas encore tourné en France. Commercialement, c'est un très bon choix», ironise Bertrand Cantat, les deux dates en Syrie étant a fortiori gratuites. A Beyrouth, les 1 200 billets disponibles à un prix résolument bas par rapport au marché (autour de 7,5 euros) sont déjà vendus deux jours avant le concert, un public éclectique composé à la fois d'admirateurs invétérés de Noir Désir, de ceux qui ne connaissent que Le vent nous portera et de curieux, qui ont vu à la télévision les Victoires de la musique, ou ont entendu parler de la désormais fameuse «Lettre à Jean-Marie Messier» (1).

«Le feu à Beyrouth».

Dans Commusication, une revue spécialisée, des Libanais interrogés au sujet de Noir Désir s'attendent à ce qu'ils viennent «foutre le feu à Beyrouth» ou même «adresser une lettre au Premier ministre, Rafic Hariri» ; ce qui revient à supposer que les membres du groupe soient au courant de toutes les imbrications de la politique locale, que les autochtones eux-mêmes ont du mal à suivre. Noir Désir veut pourtant s'informer. A la conférence de presse, qui a lieu dans la journée, on a convié, entre autres, des journalistes qui peuvent les éclairer sur la situation du pays. Pourtant, raccourci malheureux ou provocation, Bertrand Cantat, à qui on a vraisemblablement expliqué qu'à Beyrouth francophonie rime parfois avec élitisme, lance ironiquement à une salle comble et sincèrement enthousiaste : «On nous a dit que notre public était très éduqué, mais, c'est bien, vous êtes déjà debout.» Prévus depuis des mois en fonction de la disponibilité du groupe, les concerts en Syrie et au Liban surviennent à un moment où la tension dans la région est à son paroxysme. En Syrie, Noir Désir a eu l'occasion de se joindre à une manifestation propalestinienne. D'ailleurs, sur le conflit israélo-palestinien, le groupe prend clairement position : «Depuis qu'on est au Proche-Orient, on pense au peuple palestinien, y compris à ceux qui sont au Liban.» Probablement sortis d'une des nombreuses manifestations qui ont lieu à Beyrouth depuis le début de l'offensive israélienne, des fans rassemblés au bord de la scène brandissent le drapeau palestinien et le font danser au rythme de la musique. Les applaudissements sont plus timides quand Bertrand Cantat enchaîne: «On pense à toutes les personnes qui sont prises en otages dans ce genre de situation, même du côté israélien.»

Keffieh.

Sur scène, le chanteur arbore un keffieh qu'il garde autour du cou pendant tout le concert, même quand il se déroule et vient se prendre dans les cordes de sa guitare. Lorsqu'il l'enlève, c'est pourÊle rajuster ou le tenir à bout de bras.Ê Ne disposant que d'une seule journée à Beyrouth, le groupe a choisi de visiter le camp de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila avec un journaliste libanais, avant de se produire sur scène. Sans doute une visite que peu de Libanais ont effectuée. Le matin même, répondant à une question lors de la conférence de presse, Bertrand Cantat avait affirmé: «Non, on n'irait pas jouer en Israël. Dans les territoires occupés, avec les Palestiniens, oui.».

Par Joëlle TOUMA Le mardi 09 avril 2002 Liberation

(1) Violente charge du groupe, lors de la cérémonie des Victoires de la musique, contre le patron de Vivendi-Universal, dont dépend Barclay... la maison de disques de Noir Désir.