Interview

Making of Tibet Libre

Après 50 ans d'occupation, le Tibet est aujourd'hui encore dans une situation alarmante et subit toujours la pression du gouvernement chinois. En France, l'association Solidarité Tibet a pris les choses en main avec la réalisation d'un projet ambitieux : un double-album regroupant 33 groupes ou artistes, de Bertrand Cantat à Tryo en passant par Silmarils, Matmatah, Burning Heads, Dead Pop Club ou Sergent Garcia... 2h30 de musique, un livret illustré de 52 pages, voilà de quoi s'informer pour mieux s'impliquer aux cotés de Vincent Milleret, président de l'association et initiateur de cette résistance musicale.

Rock Mag : A l'origine, qu'est-ce qui t'as sensibilisé à ce problème ?

Vincent : J'ai commencé à lire des bouquins par curiosité et puis je me suis intéressé aux problèmes politiques en me basant un peu plus là-dessus. J'ai fait un premier voyage en 96 et j'ai commencé à me documenter sérieusement sur ce qui se passait là-bas. C'est vrai que j'ai été halluciné. Un million deux cents mille morts, un véritable génocide humain et culturel. En m'informant un peu et en apprenant tout ça, je me suis retrouvé dans une position où il était diffcile de rester les bras croisés. Et puis, ce qui m'a touché le plus c'est que la résistance est non-violente ce qui est assez rare pour être noté. C'est quelque chose de très fort et de très symbolique. C'est une philosophie qui vient sûrement du bouddhisme...Néanmoins, au niveau de l'association, on a toujours divisé les choses. On ne voulait pas faire un truc autour de la spiritualité, c'était hors de question. On est indépendants de tous mouvements politiques et religieux. TOut ce qui est sorti en presse sur le Tibet tourne souvent autour de la spiritualité, pour notre part on souhaitait parler de l'aspect Droits de l'Homme avant toute chose.

Quelle est l'origine de l'association Solidarité Tibet, quel en est le but ?

On a commencé à une petite échelle au départ et puis on a lancé des petites actions en organisant des cocnerts de soutien par-ci, par là. Tous les membres actifs de l'asso sont des musiciens ou des fans de musique. C'est donc l'axe qu'on s'est donnés au départ, c'ets à dire diffuser de l'information au travers des cocnerts et financer des choses comme des collectes de médicaments ou de vêtements, etc. On a commencé avec l'aide de Tryo, alors qu'ils n'étaient pas encore connus. Le premier concert qu'on a dû faire avec eux doit remonter à 1998. C'était vraiment les débuts du groupe. On a aussi fait plein de choses avec d'autres gens complètement inconnus et ça fonctionnait plutot bien.

Comment avez-vous réussi à réunir autant d'artistes autour de ce projet ?

Le projet de la compilation vient en fait d'une idée lancée en l'air par Mali de Tryo après un concert qu'on avait donné à Blois. Ce n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd et on s'est lancés là-dedans à deux : Fred Norguet et moi. Cela s'est aussi fait grâce au studio Pôle Nord à Blois, dès le départ on a pensé que le projet pouvait être réalisable, qu'on pourrait faire venir des gens là-bas...On a donc commencé à contacter des groupes, c'est passé par pas mal de potes du genre : "Tiens est-ce que tu connais untel ? Est-ce que tu crois qu'il serait intéressé par ce style de proget ?..." On n'est partis de rien et tout s'est fait petit à petit. De fil en aiguille, on s'est retrouvés avec un disque qui fait 2h30 et la participation de 33 groupes d'univers musicaux différents.

Cela a été facilité par vos propres expériences musicales ?

J'ai joué dans un groupe qui s'appelait Raymonde et les blancs-becs, je viens de la scène alternative punk. On a fait plus de 300 dates et 2 albums, on a joué avec quelques groupes de l'époque comme Ludwig Von 88, les Wampas, les Bérus ou la Mano... De son côté, Fred est ingénieur du son assez réputé sur la scène rock aujourd'hui (Burning Heads, Sleepers, Ezekiel, Spicy Box, Seven Hate...) Ca nous a permis de rentrer en contact avec certaines personnes et puis après, avec les carnets d'adresse de chacun, on en est arrivés là... C'était parfois au culot, mais on a vraiment été supris par le nombre de réponses positives.

Il y a eu certains contacts qui n'ont pas pu aboutir ?

Je sais que du côté des Zebda, il y a eu un gros et long débat au sein du groupe zt l'on n'a pas pu les rencontrer directement. Je sais qu'une partie du collectif voulait le faire, l'autre ne voulait pas, parce qu'ils avaient peur que ce soit un peu traité sous un angle spirituel, ce qui n'est pas le cas. J'espère que quand ils auront le disque, ils changeront d'avis. Il y avait Louise Attaque aussi, mais là encore ce n'était pas la bonne période car cette prise de contact s'est faite voilà un an et demi et le groupe était en plein explosion. Les première démarchs remontent à loin, on a passé beaucoup de temps sur ce projet...

Dans le domaine artistique, il y avait une ligne de conduite à suivre par rapport à cette compilation ?

Non, c'était carte blanche totale. Certains nous ont fourni des morceaux en main, d'autres sont venus au studio pour enregistrer, d'autres nous ont filé du live... On voulait que ce soit un projet totalement ouvert musicalement. Ce qui fait chier avec ce genre de projets caritatifs, c'est qu'on voit un peu toujours les mêmes tronches et pratiquement toujours les mêmes musiques à quelques exceptions près. Alors bien sûr, il y a des projets intéressants comme le GISTI, mais la plupart du temps, les gros trucs qui se sont faits pour le moment, c'est essentiellement de la varieté française... C'est toujours pour de nobles causes, mais musicalement on avait décidé de s'ouvrir beaucoup plus, ce qui a sûrement provoqué pas mal de refus de maison de disques. Certains pensaient qu'on ne pouvait pas réussir comme ça, qu'il ne fallait garder que les têtes d'affiche, faire un simple album avec 4 pages de livret. Mais ce n'était pas du tout la démarche de départ. Le projet, c'était de rassembler des gens autour d'une cause, qu'ils viennent du jazz, du reggae, du hip pop ou du rock... Pour ce qui est de la qualité musicale du disque, tout le monde a accroché, mais je crois que beaucoup de directeurs artistiques n'ont pas eu les couilles de nous signer, parce qu'il y avait une grosse prise de risque. Le label Yelen s'est présenté un peu comme un joker de dernière minute. Je crois que ce qui leur a plu, c'était de balancer un truc plutôt varié avec des gens pas nécessairement connus.

Des artistes se sont plus impliqués que d'autres ?

Bertrand Cantat, qui fait un titre avec Akosh. S, était pas mal occupé durant cette période. Mais, il n'a pas hésité à le faire parce qu'il a déjà été au Tibet, il sait ce qu'il se passe là-bas et je pense qu'il avait vraiment envie de participer à ce truc. Pas mal de gens étaient vraiment bien informés, on a été assez étonné de voir que la plupart des artistes qui ont participé à ce projet avaient déjà eu accès à l'information de base sur la situation du Tibet. L'aspect de la résistance non-violente a intéressé pas mal de monde. UNe des forces de ce projet, c'est que la majorité des groupes ont composé pour l'occasion, ce qui est assez rare. Le CD qui a été fait aux Etats-Unis par l'association des Beastie Boys, c'était que des trucs live, mais pas des gens qui avaient réellement posé pour le projet.

Il y aura des concerts prévus pour plus tard ?

ON va sûrement monter 2 ou 3 dates, en France. Il y a pas mal de choses à l'étude. En septembre dernier, il y a eu un Zénith qui avait été annulé. Déjà à cette époque, on voulait organiser un concert avec quelques-uns des artistes présentes sur la compilation. On avait même contacté RadioHead, les Beasties Boys ou Asian Dub Foundation pour l'occasion. Des groupes internationaux qui sont tous impliqués dans ce genre de cause. Ca n'a pas pu se faire parce qu'on ne pouvait pas tout gérer en même temps. La priorité principale du moment restait la compilation... Et puis, c'est vrai que c'est des groupes assez énormes, ce n'est pas évident... Pourtant, personne ne nous a envoyé chier. Concernant Radiohead, c'est un groupe qui a déjà joué pour le Tibet aux Etats-Unis, ils sont très impliqués dans tout ce qui a un rapport à cette cause et ce n'est pas impossible qu'on parvienne à les faire venir sur l'une de nos dates. J'espère qu'on fera un Zénith dans les mois à venir mais, on ne va pas s'acharner à faire que des gros concerts. On fera sûrement un petit tour dans de plus petites salles. Maintenant, si on se bouge le cul pour en faire un, on ne va pas le faire à moitié.

L'impact de ce genre de projet s'arrête parfois à la dimension musicale. Tout le monde ne va pas forcément plus s'impliquer dans la cause Tibétaine. Il existe des limites à ce genre d'action ?

j'espère que non. Si sur une salle de 1500 personnes, on touche 200 personnes et que chacun en parle à son entourage, c'est déjà quelque chose. C'est avec les gouttes d'eau qu'on fait les océans... C'est clair qu'au départ, les gens viennent pour la musique, il ne faut pas les saouler, s'ils ont envie d'aller vers l'info c'est bien, s'ils ne veulent pas, on ne peut pas les y obliger. On sème une petite graine, après elle germe ou pas.

Magazine Rock Mag