Noir Désir: Revisité Le mors aux dents

One Trip One Noise

consultez la page où les remixeurs parlent de ce projet

 

Toujours off, sans la moindre perspective commune annoncée (ni disque, ni tournée à l'horizon), Noir Désir reste sous les feux de l'actualité avec " One Trip One Noise " sorti le 2 Novembre dernier. Indiffèrent au clivage rock/chanson, Noir Désir vient de participer à un hommage à Jacques Brel sur lequel il s'illustre par sa maturité musicale et vocale.

Et, après une longue gestation, il sort un album de remixes de ses propres chansons. Réputé pour avoir veillé avec intransigeance à toujours garder le contrôle de ses enregistrements, Noir Désir les a soumis aux relectures les plus diverses, sélectionnant avec passion, parmi une bonne centaine de propositions, treize versions étonnantes qui confirment la haute teneur de son répertoire.

 

Excès

Bertrand : Andrej, un musicien yougoslave, a été en 1997 l'élément déclencheur de ce projet de remixes. Pourtant, un an auparavant, des tentatives peu glorieuses et non sollicitées nous avaient fait réagir à l'inverse. Lui non plus d’ailleurs ne nous avait rien demandé avant de nous contacter de Pologne pour nous faire écouter « Septembre En Attendant ».

Sergio : ce n'était même pas un remix : il avait simplement ajouté à l'original des basses, des infrabasses, de la batterie et des sons électroniques.

Bertrand : comme il n'avait aucune bande à disposition, il avait procédé d'une manière roots avec seulement un lecteur CD et son ordinateur. Le résultat nous a plu : il sonnait moins bien qu'avant la version définitive, mais on y trouvait déjà tout l'esprit de l'histoire.

Denis : Il a suscité notre curiosité : Tiens, on n'y avait jamais pensé, qu'est-ce que ça donnerait sur d'autres morceaux ?

Bertrand : Quand il est venu pour remixer "Fin De siècle", on avait beaucoup discuté et admis l’idée que quelqu'un d’extérieur puisse s’emparer d'un de nos morceaux pour en faire autre chose. Denis : comme on donne dans le radicalisme, on est passés d'un excès à l'autre : plutôt que de prendre un de nos albums pour que quelqu'un y touche, on a ouvert notre discographie à tous.

 

Blind test

Denis : Les contacts ont surtout été pris par la maison de disques, ce qui n'était pas la solution idéale car on aurait pu rencontrer d'autres gens.

Sergio : En ce qui concerne Yann Tiersen, je suis allé le brancher après l'avoir découvert sur scène à l'Européen.

Bertrand : On a conseillé certains noms mais tout s'est fait sans communiqué, par le bouche à oreille, ce qui demande du temps. On n'a pas procédé par affinités, mais on est retombés sur des affinités comme les Young Gods.

Sergio : Quand un intervenant avait choisi un morceau, la maison de disques lui faisait parvenir toutes les bandes et il pouvait en faire ce qu'il voulait, sans aucune contrainte. C'est essentiellement la voix qui a été conservée, parfois un peu de guitare et de batterie.

Denis : Il y a eu des conseils de la maison de disques, pas des obligations formelles mais des recommandations, les morceaux devant être identifiables à travers la voix, ce qui est tout de même plus facile qu'avec la grosse caisse...!

Bertrand : De toute façon, c'est souvent le cas avec des remixes.

Jean-Paul : on a reçu une centaine de propositions. On aurait pu attendre un an de plus pour se retrouver avec deux cents remixes, mais on ne voulait pas traîner en longueur. On a tout écouté en blind test, sons savoir de qui il s'agissait, pour ne pas être influencés.

Caisse de vin

Bertrand : on était loin de connaître tous les remixers. On avait entendu les disques de Treponemn Pal et Gus Gus mais on ne les avait jamais rencontrés. Replicant était un inconnu : il s'agit en fait d'Alex, le guitariste du Cri De la Mouche.

Denis : idem pour Anna Logik qui est un pseudo de MC Relou. Il a réalisé une dizaine de remixes très distincts sous quatre ou cinq noms différents. Quand la maison de disques lui a filé rencard, ils s'attendaient à une petite nana et ils ont vu arriver... un gros barbu !

Sergio : Quand je l'ai eu au téléphone, je lui ai signalé qu'il se montait sa cave à l'oeil : comme on remercie tous les intervenants en leur offrant une caisse de vin, il en a reçu une dizaine pour tous les morceaux refusés, alors qu'il n'en a qu'un seul sur le disque !

Jean-Paul : Zend Avesta est un type qui s'appelle Arno et travaille avec le guitariste de Kat Onoma.

Bertrand : Télépopmusik est un groupe parisien. Titos Clan est une connaissance de Budapest : un jour qu'il passait à la maison, je l'ai averti du projet et il m'a aussitôt demandé s'il pouvait faire une proposition... On se retrouve ainsi avec autant de remixeurs étrangers que de français !

Soupçons

Bertrand : Je ne crois pas que leurs motivations soient opportunistes car ils ignoraient si leur proposition allait être retenue.

Sergio : On a personnellement appelé tous ceux qui ont été refusés pour discuter et tenter de leur expliquer. Je n'ai senti aucun calcul chez eux.

Denis : Beaucoup étaient étonnés et croyaient que la maison de disques avait pris cette initiative sans qu'on soit au courant.

Bertrand : Il y a eu pas mal de parano et beaucoup de soupçons sur un éventuel projet de maison de disques conçu sans notre accord. Etonnant, alors que nous défendons depuis dix ans une toute autre façon d'agir.

Feuille morte

Sergio : Notre sélection s'est faite de novembre 1997 à septembre 1998.

Denis : Les premiers arrivages n'ont pas été fabuleux, loin de là : sur les quarante premiers, on n'en a gardé aucun.

Sergio : Ensuite, on est passés à une qualité supérieure.

Bertrand : on a donc eu un gros doute renforcé par une seconde série qui nous a fait envisager un trois-titres. Voilà pourquoi on ne s'est jamais engagés avec la maison de disques.

Bertrand : la sélection proprement dite n'a pas été très difficile.

Denis : Elle a été très longue mais assez évidente à l'écoute.

Sergio : on est tous tombés d'accord sur la totalité des morceaux.

Denis : J'ai seulement eu quelques réserves sur "Lazy"' que je ne trouvais pas fabuleux.

Bertrand : on a hésité sur certains titres qui nous semblaient intéressants mais ne résistaient pas à la dixième écoute, un peu comme la feuille morte qui se détache de l'arbre toute seule. Au bout d'un moment, la qualité du disque est apparue et on a mis la barre plus haut que le simple bidouillage ou le bricolage marrant. On n'a conservé que de véritables univers, avec une histoire derrière : soit une vraie prise de risque, soit un vrai grand respect. On recherchait l'un de ces deux extrêmes et pas une simple démonstration du style regarde comme je sais bien me servir de mes machines. On a rejeté les expériences de mec doués mais sans oreille.

Bridé

 

Sergio : curieusement on n'a retenu aucune version des morceaux les plus remixés, comme "La Chanson De la Main"...

Denis : ... ou "L'Homme Pressé". Ils ont été écartés car on raisonnait sur des produits finis imparfaits. Ainsi, Spicy Box est passé à côté de "En Route Pour La Joie" : plusieurs fois, on a failli le retenir mais il y avait toujours quelque chose qui nous gênait et qui aurait pu être amélioré. En revanche, trois versions de " Tostaky " nous plaisaient et ont été conservés. Celle de Pills, vraiment techno, n'est pas sur l'album mais sur le single car elle correspond bien au format court.

Sergio : Les deux versions retenues pour l'album sont tellement différentes qu'il n'était pas gênant de les proposer simultanément.

Bertrand : Avec le temps elles continuent d'apporter quelque chose alors que la version de Pills se contente de rentrer dans la gueule.

Jean-Paul : il n'y a pas eu de repêchage. Certains morceaux auraient pu être améliorés mais c'était entrer dans un travail où nos suggestions auraient tout faussé.

Sergio : on n'en avait pas envie.

Bertrand : on a bien essayé de remixer un troisième morceau avec Andrej, mais ça revenait à s'écarter de l'idée de base.

Denis : cette solution était bâtarde : nous, on n'intervenait pas à 100% et le mec était bridé.

Bertrand : on a alors adopté une attitude claire : soit le remixeur nous proposait sa vision et nous faisait craquer, soit on rejetait tout sans rien récupérer.

 

Partisans

Sergio : on a eu beaucoup de surprises. On a été séduits par les véritables relectures avec réorchestration comme "Oublié", ou "One Trip one Noise" en dub.

Jean-Paul : Pour certaines versions non retenues, on se demande toujours de quel morceau il s'agit : rien ne nous a permis de l'identifier.

Bertrand : Le critère premier n'était pas la fidélité mais le plaisir et on s'est bien marré, par exemple avec "Lolita Nie En Bloc". Certains ont conservé l'esprit d'origine avec quelques rajouts ("Septembre En Attendant", "Lazy") mais on était partisans d'un état d'esprit totalement iconoclaste pour entraîner le morceau sur d'autres voies. Ainsi "Les Ecorchés" correspondent à l'univers de Sloy qui les a remixés. Nous n'avons fait aucune comparaison avec les originaux sauf pour "Lazy" : j'avais toujours regretté qu'on ne soit pas allés au bout d'une ambiance, les Sloy l'ont fait... ce n'est qu'un détail.

Jean-Paul : Les versions plus fortes que l'original ne sont pas sur le disque...

Denis : celles qui m'ont le plus éclaté, je n'y aurais jamais pensé. Mais il est très satisfaisant de se dire que c'est le morceau d'origine qui a déclenché l'idée.

Bertrand : on peut ainsi être fiers de ce qui en ressort. Cohérence

Denis : Nous avons redécouvert tous les morceaux. Le plus flagrant est "666.667 Club" que je considérais comme non remixable car il partait dans tous les sens.

Jean-Paul : "A Ton Etoile"...

Bertrand : Là, Tiersen a conservé la chanson mais il a modifié toute la table harmonique et l'instrumentation

Denis : A l'arrivée, on retrouve vraiment son univers.

Sergio : Tout comme celui de Franz Treichler et les Young Gods sur "Le Fleuve".

Bertrand : Tous nous ont permis de redécouvrir les morceaux. c'était un de nos critères, donc la surprise était nécessaire.

Sergio : on ne peut pas vraiment parler de remixes à partir des bandes car les morceaux sont tous réarrangés et refaits.

Bertrand : c'est notre répertoire qui se retrouve entièrement revisité.

Denis : on a souvent été surpris, jamais choqués. On est très peu intervenus : à la gravure, on a seulement récupéré des graves là où on pensait qu'il en manquait et Sergio a viré des fréquences qui le gênaient.

Jean-Paul : Pour une question de cohérence de l'ensemble.

Censure

Bertrand : Participer à la compilation hommage à Brel nous a fait nous retrouver dans la position inverse. En reprenant "Ces Gens-Là", nous avons tenté de rester fidèles à l'esprit, quoique. C'est un jeu périlleux que de s'attaquer à un monument. Cela dit, notre motivation n'était pas de relever un défi.

Sergio : En l'occurrence c'était à Bertrand de décider en tant que chanteur, mais j'ai été surpris de son choix et de son désir de respecter la structure.

Bertrand : cette chanson s'est imposée d'elle-même. Avant même d'en parler aux autres, je voulais la reprendre mais sans me l'avouer, je refoulais cette envie. Quand j'en ai pris conscience, le choix a été évident et la réalisation a été un vrai bonheur. Dommage de constater que deux versions ont été refusées par la Fondation Brel : celles de Mano Solo et de Rodolphe Burger qui s'écartaient trop de l'original.

Sergio : Rodolphe avait cisaillé la chanson, Mano Solo avait carrément changé la mélodie.

Bertrand : on ne courait pas un tel risque de censure, on n'avait d'ailleurs pas pensé les choses en ces termes, mais il est étonnant de constater que pour ce projet, il existait une police.

 

 

Interview tirée de "Rock & Folk"