Vendredi 24 juin, Palais
des Sports de Marseilles, Noir désir donne son unique concert français
de l'année. Contre la peste Tapie ? Non ,contre le choléra au Pérou !
Virée à Marseilles en pleine canicule. Contrairement aux apparences,
il ne s'agit pas d'y retrouver les gloires locales, IAM ou Tapies (!),
mais de renouer le contact avec les Noir Désir qui désertent Bordeaux
et leurs vacances prolongées pour leur unique concert français de l'année
94, en soutien à l'association Cholera No, avec, dans leur bagages, leurs
petit protégés noisy de Mush.
Humanitaire
A la périphérie de la ville, la Palais des Sports est noir de monde.
L'ambiance est moite et l'absence de ventillation se fait cruellement
sentir. Vu leurs réticenses vis à vis des mega-concerts, il est évident
que les Noir Désir ont dû quelque peu se forcer. Mais l'efficacité d'une
action humanitaire nécessite l'abandon de certains scrupules : "C'est
gros, et il ne faut pas y penser : la recette de la soirée avoisinera
les 200 000 francs, et permettra de décrocher une subvention européenne
qui doublera la mise sur le projet global de santé au Pérou."
22H30. Les 7000 personnes qui s'impatientent braillent et scandent leur
nom. Les lumières s'éteignent. Le hurlement généralisé doit s'entendre
jusqu'à la Cannebière. Ils attendent que ça se calme un peu pour grimper
sur scène, ce qui relance le vacarme de plus belle. Bertrand y va de son
petit speech d'introduction alors que le projecteurs se focalisent sur
le fond de la scène, une carte de l'Amérique du Sud exhibant un énorme
sparadrap et le slogan "Choléra No" : "On est là ce soir pour deux raisons.
D'abord parce qu'on avait jamais joué à Marseilles lors de la dernière
tournée (d'où le choix de la ville pour cette opération) et puis pour
lutter contre le Choléra au Pérou." C'est net, précis et conforme à ce
qu'il m'avait annoncé ("Sans les gonfler trop, je leur rappellerai le
but de notre venu. D'ailleurs, ils ont déja un petit texte derrière le
billet d'entrée pour faire passer l'idée).
Il n'insiste pas et déja retentissent les premiers accords de "La Rage",
litteralement craché, alors que le public, très jeune, se déchaîne au
quart de tour. Le son est abominable et l'importance du matos ne parvient
pas à compenser l'acoustique de hall de gare de la salle. L'améliorer
relève de l'exploit...mais Giorgio, leur sonorisateur rital attitré, fait
une fois de plus des merveilles dès le titre suivant ("Here it comes Slowly")
et le concert trouve vériablement ses marques sonores avec "Ici Paris".
la foule tape des mains en cadence, Sergio saute partout en arrachant
à sa guitare des riffs durcis et incisifs. "One Trip One Noise" : Bertrand
délaisse sa guitare et se campe devant le pied de micro qu'il empoigne
pour une démonstration au chant et à l'harmonica. "Alice" est aussi déchiré
que déchirant, toutes les nuances étant éccentuées d'ue manière quasi
pathologique. La marée humaine n'attend que "Les Ecorchés", et leur rythmique
implacable propulsée par Fred et Denis, pour métamorphoser la fosse et
les gradins en un magma ondulatoir. La tension musicale est au diapason
de l'atmosphère surchauffée, haletante. Ils ne font pas dans la demi-mesure,
pour leurs retrouvailles avec la scène ("On n'a pas fait de concerts depuis
huits mois, c'est a dire la Fête de l'Huma et le Bol d'or"). Et ils prennent
un plaisir évident à assumer cette entorse à la regle qu'ils s'étaient
fixée : pas de tournée en France cette année. Mais cette exception marseillaise
résulte d'une volonté d'engagemnt supérieure à toute stratégie professionnelle.
"Vu le nombre de cause qui peuvent être valable, nous sommes dans le subjectif
total. C'est donc une question de rencontre, en l'occurence avec Odile
Marchand, présidente de l'association Choléra No. Elle nous a d'abord
sensibilisés à leur action : c'était concret, précis et transparent. De
plus, ils sont sérieux, énergiques, et relayés sur place par des assos
locales comme Pompiers Sans Frontières. Et puis on s'est demandé ce qu'on
pouvais faire. Un don gratuit, comme la Mano Negra qui a financé l'aménagement
d'un puits procurant de l'eau a 30 000 personnes ? Ils préféraient tenter
de sensibiliser un public jeune à travers un évènment. Alors on a dit
banco. Un journaliste nous a demandé pourquoi on n'allait pas jouer au
Pérou. Ils seraient vacahement contents ! Au lieu d'être une aide, une
telle initiative lur coûterais du pognon, et puis ce n'est pas si simple,
comme peut en témoigner la Mano !"
Je les comprends quand je constate avec quel enthousiasme Odile Marchand
présente son action : "La persistance à notre époque de cette maladie
qui se soigne très bien est aussi provocante que révoltante. C'est la
maladie des mains sales et des ventres creux." Elle que rien ne prédispose
au rock ("Je suis une vielle, et quand je traverse la salle, j'ai peur"),
elle a su motiver ses interlocuteurs ("Avec Bertrand, on s'est compris
tout de suite") et rêve de prendre contact avec d'autres groupes moins
connus pour des opérations de sensibilisation moins spectaculaires (avis
aux amateurs !). Pourtant, rien n'allait de soi avec Noir Désir qui tris
le spropositions pour éviter le systematisme. "L'annonce de ce concert
a declenché une avalanche de fax. les assos nous questionneaient : "Pourquoi
pas nous ?" Parce qu'on ne peut pas tout faire ! Nous sommes unepassoire
: s'il n'y a pas une histoire, si nous intervenons juste pour un profit
quelconque, nous n'en voyons pas l'interêt. A chaque fois que nous avons
accepté un benefit concert, nous ne savons pas quelles ficelles se sont
nouées, mais elles se sont nouées". Et Lleur pudeur s'accomode mal de
l'ambiguïté des grosses apérations humanitaires. "On aime savoir où on
va. Quand il s'agit d'une cause, il faut réfléchir : s'agit-il de la servir
ou de mettre son ego en avant ? Nous ne voulons pas nous associer à ceux
qui y participent pour redrer leur blason sur l'air de "Qu'est ce qu'on
est gentils !". Ce soirs, ils espèrent que leur public se sent concerné
("Si tu commences à te dire qu'ils n'en ont rien à branler, ce n'est pas
la peine de le faire") mais savent pertinemment que la motication première
d'une telle mobilisation reste leur nom et leur musique. Leurs discours
restent donc brefs, et ce concert est avant tout une histoire de rock.
Politique
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"Le Fleuve": à nouveau sans guitare, Bertrand se laisse aller à
ses penchants expressionnistes. "Je ne t'en veux pas" ("Oublié")
est chanté en choeur par des milliers de voix. les choses ont bougé
depuis le live et la tournée, même si le répertoire est le même.
les morceaux sont épurés, rongés jusqu'à l'os, proches de la névrose
mais suffisamment exorcisés pour être dun et permettre de célébrer
une fête...noire. "Tostaky" provoque le délire. Ca gigote dans tous
les sens et même les minettes bien clean qui stationnent devant
moi n'hystérisent, poing levé, cheveux virvoltants et tee-shirt
ND fièrement arboré (Clara dait un malheur avec son merchandising
et épuise ses stocks).
Une fois de plus, la place de ce titre témoigne de leur refus de
l'effet facile : n'importe quel groupe le placerait en fin, ou en
rappel, pour prolonger l'attente et se garantir une sortie triomphale.
Pas eux. Histoire de relever le défi de retrouver une energie comparable
avec des titres moins porteurs. Le palais des Sports grouille de
partout en reprenant "Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien".
"Tostaky" accède alors au statut d'hymne générationnel, véritable
etendard d'un groupe totalement en phase avec une jeunesse rock
et révoltée qui se reconnaît autant dans sa musique que dans son
attitude.
"Sober Song" calme le jeu, faisant la part belle aux accents rauques
de Bertrand qui s'amuse en modofiant la scansion de "It Spurts",
enchaîné sans transition. Les mélodies, qui dégage un parfum de
lyrisme romantique, constituent un contrepoint à la violence rageuse,
et contribuent certainement au succès du groupe bien au-delà des
aficionados d'émotions fortes. De même, les "merci beaucoup", murmurés
d'une petite voix attendrissante, font contraste et permettent de
comprendre l'engouement des filles, pour une fois à l'égalité avec
les mecs dans un concert rock : Bertrand a du charisme, mais son
manque d'assurance le positionne aux antipodes du matcho sûr de
lui...double raison pour craquer !
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"The Holy Economic War" met
en valeur une autre de leur facettes, à savoir la dimension politique
au sens large. Sur l'intro, petite causerie pour dénoncer l'impuissance
des gouvernements à résorber la pauvreté, l'égoïsme international et le
fascisme. Ils m'ont d'ailleurs avoué q'ils avaient été séduits par une
telle mise en perspective de l'humanitaire : "Cjoléra No a une dimension
tiers-mondiste et une conception politique de l'action humanitaire". Analyse
confirmée par le discours d'Odile Marchand : "L'existance du choléra au
Pérou a des causes économiques et politiques Il résulte d'un déséquilibre
mondial, d'une injustice intolérable qu'un jour ou l'autre on va se prendre
sur la gueule".
Et puis on est à Marseilles, Bertrand ne résiste pas à l'envie
d'égratigner Tapie, dont on lui avait annoncé à tord la venue, "Marseillais,
Marseillaises, vous n'allez pas échapper à la démagogie. Il paraît que
votre futur maire est un escros ?". L'accueil mitigé que les fans réservent
à ses propos prouvent que, même parmis eux, l'effet Tapie fait des ravages.
Il recentre alors son intervention sur le concert : "Heureusement qu'il
y a Sergio, moi, à la guitare, je suis moyen". Et il attaque leur protest
song qui bascule dans le dantesque avec l'intervention des choeurs-hululements
pour un final halluciné. Le palais des sports, déjà a la limite de l'asphyxie,
frise l'apoplexie avec le "Long Time Man" de Nick cave. "Vous êtes fatigué
?". La question relance l'ambiance qui fait mine de retomber pour cause
d'épuisement caractérisé. la berceuse annoncée est en faite "What I Need",
vivifiée par l'energie de la dernière heure. "Bonsoir !"
Entraide
Comme la foule manifeste bruyamment son refus d'une telle séparation,
ils reviennent sans se faire prier. Bertrand cité alors les autres groupes
qui avaient joué avant eux : "C'est la meme histoire". Malgré l'aspect
maigrelet des réactions, il tient à le faire. Comme à de multiples accasion
(tournée, Bol d'or,...), ils ont profité de ce concert d'aide humanitaire
pour aider les membres de "cette grande famille de groupes qui n'ont pas
de label et qui galèrent. On ne souhaite pas pour autant tomber dans l'obscénité
de vouloir placer les copains partout : il faut que l'on pense qu'ils
ont de la valeur et qu'ils sont capables de tenir une scène."
Pour l'occasion, ils étaient trois pour lesquels, au dela
du motif humanitaire (qu'ils ont d"couvert sur le tard), le concert constituait
un tremlpin. Subtke Plague, qui emporta les faveurs de l'applaudimètre
avec sa musique assez indéfinissable, une sorte de pop à tendance baroques,
expérimentales et headvy : "Ils sont basés en Californie mais bougent
beaucoup. On les as rencontrés en Hongrie il y a un an. On venait repérer
le club dans lequel on devait se produire le lendemain, ils y jouaient,
on les a trouvés vachement bien et on s'est branché avec eux. Depuis on
a souvent fait apple au eux pour des premières parties".
BB Clandestine, duo local féru de Nick Cave, Breeders et
Morphine, recruté la veille au soir par téléphone : "On a été séduit par
leur coté très épuré, par l'originalité et la personnalité de leurs compositions".
S'ils ont essuyés les plâtres de l'ouverture avec une formule pas évidente,
les deux BB n'en sont toujours pas revenus. "L'histoire ressemble à un
conte de fée. hier, on reçoit un coup de fil de Bertrand : "excusez-nous,
nous avions eu votre cassette mais nous venons juste de l'écouter dans
le taxi. Ca nous plaît et nous aimerions que vous veniez jouer quelques
morceaux". On en les connaissait pas, maintenant on a l'impression que
ça fait des mois, des années. Le rapport avec eux est simple, on parler
de la meme chose, on est dans le meme monde.
Et puis surtout Mush, don le rock supersonique n'a pas été
ce soir reconnu à sa juste valeur. "Ce sont des fous furieux, des barbares,
le meilleur groupe du genre avec les Burning Heads, un sacré groupe pour
ceux qui aime le rock dur. ce sont aussi des potes de Bordeaux que l'on
connaît depuis longtemps, des vieux de la vieille dont certains ont fait
partie d'autres groupes comme Camera Silens." Ils se sont formés en 91,
mais la formule actuelle ne remonte qu'au debut 93, ce qui ne les a pas
empêchés de sortir illico un mini-CD avec le label-fanzine bordelais "Abus
Dangereux". Dans la perspective d'un contract, ils vont d'ailleurs bientôt
enregistrer dans le studio bordelais de ND. Et , pas plus que ces derniers
ne sombrent dans l'enthousiasme putassier à leur égard ("Ils font beaucoup
de bruit, je n'écouterai pas forcement ça toute la journée"), les Mush
s'épargnent la comédie de la reconnaissance serville. "Quand nous avons
connu Noir Désir, c'était l'un des 120 groupes bordelais, ni plus ni moins.
Actuellement, on ne détest pas (rires) : depuis qu'ils ont durci le ton,
ils sont de plus en plus carton et, scéniquement, ils peuvent être impressionnants".
Et cette attitude est beaucoup plus saine.
D'ailleurs, les ND ne se mettent jamais en avant pour ces
coups de pouce qui leur semble normaux, et ils sont conscients de la part
de chance qui les a fait sortir du lot de leur petits camarades.
La première série de rappels voit se succéder 'Un Ange Passe"
(et son refrain repris en choeur par la salle", "I Want You" ( un peu
expéditif), "La Chaleur" (à deux doigts de la crise de nerfs avec ses
phrases d'apaisement vite dynamisées) et "A l'Arrière des Taxis" (guitare
étourdissante et concise, toute en éclats acérés). Ciao. Sortie. Brouhaha
indescriptioble. Comme ils ne mégotent pas, ils reviennent pour l'ultime
tiercé.
"Marlène" fait un tabac mais Bertrand, agacé par le dérapage
du côté de la grande messe consensuelle, accélère sa diction pour désarçonner
les choeurs du public, et exprime violement son énervement : "Eteignez
ces putains de briquet !" Il se défoule en congnant la cymbale de son
micro et, à peine éclairé par un projo minimaliste, continue de tourner
en rond quand le silence est revenu. Après un faux départ ("Le rock'n'roll
est fait d'incertitude") et un faux plébiscite (Vous en préférez une autre
? Oui ? Non ? Allez on la fait quand même !"), ils reprennent un morceau
d'Iggy. Et ils concluent...dans la joie (En route pour la joie")
H.M. - Rock and Folk Août 1994
suite à venir...
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