AKOSH S. UNIT

Rencontre

L’histoire se passe au TNT (Bordeaux). En bel et ténébreux intimiste, l’endroit ne révèle ses largesses, ses aisances, ses niveaux et ses angles qu’à la longue, quand l’obscurité devient douce et familière… Tout y est à découvrir, à apprivoiser… C’est d’ailleurs à cette image qu’il semble désigner et distinguer ses artistes, ses musiciens et ses spectacles : pas de polycopies, mais de la polychromie, permanente, où les choses prétendues antagonistes s’installent et se retrouvent pour le moins complémentaires. Raison de plus pour que le groupe Akosh S. Unit y soit très symboliquement invité…

Le temps d’une heure, Akosh me raconte sagement des histoires, les siennes aussi, ses souvenirs, ses émotions et "malgré tout", sa foi en l’Homme…

Je dois hélas avertir le lecteur : il ne s’agit ici que d’une simple et servile traduction, les accents toujours enchanteurs bien que très emmêlés du Hongrois Akosh Szelevenyi et de l’Irlandais Joe Doherty restant insensibles à toute tentative de transposition…

Longueur d’Ondes : Vous le signalez dans tout ce que vous faites, presque comme un parti pris politique : toujours rallier et relier le passé au futur proche… La connaissance et la reconnaissance de nos racines nous permettent donc de mieux vivre au présent, et d’envisager l’avenir d’une manière plus sereine ?

Akosh : Oui ! Ce n’est pas en rejetant la tradition que l’on arrive à avancer, c’est en construisant avec elle. C’est vrai que cela fait fortement partie de mon credo, mais je ne pense pas que cela me concerne uniquement.

L.O. : N’est-ce pas aussi pour signifier ou démontrer que rien n’est "inconjugable", que les différences ne sont pas forcément antinomiques si on le désire vraiment ?

Akosh : C’est tout à fait vrai… Ce qui ne l’est pas, c’est de dire que l’on pourrait se mélanger avec tout le monde ! Je suis sûr que cela me serait impossible avec un tas de gens ! Il faut d’abord qu’il y ait un échange, une rencontre humaine intéressante, c’est indispensable. Mais cette notion, ou cette action de mélange, de métissage, n’est pas du tout intellectuelle ou intellectualisée, c’est beaucoup plus instinctif que ça. Le problème soulevé est effectivement le suivant : comment cohabiter ensemble tout en étant chacun si différent, et que cela puisse alimenter quelque chose entre nous ? Ce n’est pas une potion magique. Je pense seulement que nous sommes un petit peu ouverts à tout ce qui existe, nous sommes curieux du monde autour de nous. C’est comme en musique, il est très difficile de dire "Moi, je suis jazz" ou "Moi, je suis rock"… Et même en ayant longtemps joué du classique, je savais que je m’orienterai vers autre chose…

L.O. : Pourquoi ? C’est trop cloisonné, trop architecturé, le classique ?

Akosh : Il y a quelque chose que l’on ne trouve plus aujourd’hui dans le classique, c’est cette notion d’improvisation. Et il y a une grosse différence entre jouer un morceau de quelqu’un que je ne connais pas et créer dans l’instant une musique où le spectateur finit par devenir acteur. Ce que nous recherchons et aimons tant, c’est cette capacité d’adaptation qu’il y a dans l’improvisation… Pour ce qui est de la tradition, je vais prendre mon exemple puisque c’est celui que je connais le mieux : si tu vas en Transylvanie et que tu demandes à une dame en train de broder pourquoi elle le fait, elle te répondra : "Parce que c’est ainsi, ça m’a été transmis de cette façon". Il n’y a pas d’explication plus claire pour elle. Après, une personne plus ou moins extérieure, comme un historien ou un sociologue, saura trouver des raisons plus profondes.

L.O. : N’avez-vous jamais songé, avec une musique propre à exalter notre imaginaire et notre imagination, de vous allier avec différents artistes, des concepteurs d’images (peintres, vidéastes, cinéastes…) ?

Akosh : Si, bien sûr. En fait, il faut savoir que la base première du groupe s’est formée autour d’un projet théâtral sur lequel Philippe Foch travaillait. Il faisait alors partie d’une compagnie théâtrale qui avait envie de travailler avec un groupe de musiciens. Il s’agissait d’un travail en direct où les univers se mélangeaient. Il faut dire que notre variété d’énergies vient aussi de la variété d’expériences que nous avons pu accumuler !

L.O. : Toutes les compositions sont l’œuvre d’Akosh Szelevenyi. Les autres membres du groupe ont-ils jamais eu envie de proposer leurs idées ?

Akosh : Akosh est notre chef d’orchestre et nous nous retrouvons dans son univers. Il y règne un espace incroyable de liberté que tous, nous pouvons exprimer. Sinon, nous serions déjà partis… Nous sommes dans sa logique de vie, de vie musicale. En fait, il est le catalyseur de nos différentes énergies… Et puis, notre groupe n’a rien de figé, d’immuable, c’est quelque chose qui évolue. Cela évoluera dans le sens où, un jour, il n’y aura peut-être plus du tout besoin de compositions !"

Juste de l’impeccable impro, un pur jazz qui saura alors se tailler sur mesure un qualificatif plus qu’adéquat : free !

Anne Sérès - ©1995-2001 - Longueur d'ondes