Akosh S. : Energie et conviction

Mardi 10 février 1998 Akosh Szelevenyi est hongrois, saxophoniste et persuadé que la musique vivante a de beaux jours devant elle. Deux disques sortent le 10 février. Concert à Bordeaux le 11 février

 

Quant un musicien qui peut par de nombreux côtés se rattacher au jazz le plus « libre » se voit proposer par une major (en l'occurrence Polygram, sous son label Barclay) l'opportunité de la sortie de deux CD à la fois, ainsi qu'une tournée de promotion, le tout sous l'égide discrète mais sensible d'un groupe nommé Noir Désir (et plus particulièrement son chanteur Bertrand Cantat), on doit craindre.

 

Par exemple qu'on essaye de nous refaire le coup du nouveau génie du jazz venu relayer la perte de vitesse des 78 qui l'ont précédés. Ou qu'on tente de suggérer un choix forcément « à la mode » puisque venu de l'adoubement d'un autre, dont on connaît le charisme et l'influence.

C'est donc aux pièces qu'on commencera à se faire une idée. Akosh S. (cela va plus vite ainsi) est né en Hongrie en 1966 ; il a suivi des études musicales classiques et folkloriques, appris les instruments à anche les plus divers, découvert plus ou moins sous le manteau les jazzmen libres de l'époque (Ornette Coleman, Eric Dolphy, John Coltrane, Albert Ayler, Sun Ra, Charlie Haden, Don Cherry) qui n'avaient pas bonne presse là-bas sous régime communiste _ mais leurs équivalents d'aujourd'hui sont-ils vraiment écoutés dans les respectables démocraties ? Bref, il saute le mur en 1986, se retrouve à Paris, rencontre encore les jazzmen (Mickey Graillier, Steve Grossman), forme un quartet en 1991, se produit avec Dewey Redman _ le père de Joshua _ travaille souvent dans le Limousin (il y a gardé des attaches, c'est toujours là qu'il enregistre ses disques), recrute le violoniste irlandais Joe Doherty, s'installe à Paris au bistrot « l'Atmosphère », fait parler de lui sous le manteau, rencontre Bertrand Cantat qui lui fait faire les premières parties de sa tournée de 1996-1997 (on l'a entendu lors de ce fameux jour à Bordeaux), le fait intervenir sur « 666 667 Club », et en profite pour enregistrer la matière de l'un des deux disques à sortir le 10 février : « Omeko » (live).

Primitif Evolué

Est-ce du jazz ? « Non, ce serait réducteur de le dire ainsi », nous répond Akosh S. « Pour moi, s'il faut vraiment résumer, ce serait un mélange entre des musiques traditionnelles de chez moi, et l'improvisation, je ne dirais pas « free-jazz » parce que cela fait peur aux gens, mais tout de même dans ce sens là du moment que l'expression est au premier plan ». Le propos est clair, l'ambition évidente, la croyance totale en un certain nombre de valeurs qui nous reviennent droit des années 60 et du XVIIIe siècle.

D'abord cette idée que l'état de culture est à la fois inévitable et passablement mauvais, une idée strictement rousseauiste, mais pour une fois d'un Rousseau bien lu : « Disons que Akosh est un primitif extrêmement évolué et c'est exactement le genre de paradoxe qui peut nous sauver la vie » déclare Bertrand Cantat. Rousseau disait dans son Emile vouloir fabriquer « un sauvage fait pour habiter les villes ». Sous la plume de Marc Berthon, on retrouve ces thèmes connus : la force du cri primal, la simplicité de l'enfance, le désapprentissage, les blessures de la vie. La musique est encore ce qu'il y a de plus important, évidemment. Elle est, de fait, marquée par le jazz libre des années 60, par le folklore hongrois mais aussi par tout le folklore « imaginaire » des jazzmen d'aujourd'hui. Forte et belle, mais comme savent l'être aussi (et depuis longtemps) les musiques de Louis Sclavis, ou celles du compatriote de Akosh, Yochk'o Seffer. C'est de la musique « folklo-universelle » bien faite, généreuse, engagée ; elle veut concilier sagesse et folie, ce qui est, après tout, un bon programme. A suivre de près...

PHILIPPE MEZIAT
http://www.ultrasons.sudouest.com