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"Les espaces de vie d'Akosh S."

Indomptable

Une année 1999 sur des chapeaux de roues. Parce qu'il n'hésite pas à se produire dans les conditions précaires de la grande majorité des musiciens de rock, parce qu'il brûle du désir de jouer dans les lieux de vie plutôt que sur des scène "officielles", le saxophoniste Akosh S. est l'un des musiciens qui s'est le plus produit cette année. Souvent dans des lieux qui le confrontent à un public neuf pour le jazz. pause café avant la tournée des festivals.

    Que vous a apporté la signature avec une major, Barclay, pour laquelle vous avez déjà sorti trois disques ? Votre indépendance farouche n'en a t'elle pas souffert ?

J'ai moins le sentiment d'avoir signé avec une major, qu'avec un producteur, Daniel Richard, à partir du moment où la rencontre avec lui et son équipe était une vraie rencontre. Humaine et artistique. Ils ne m'ont pas plus limité qu'ils ne m'ont incité à faire de quoi que ce soit. J'avais, et j'ai toujours, carte blanche.

A paris, le café-musique L'Atmosphère vient d'être interdit de concert. Comme nombre de bars parisiens accueillent des musiciens. Comment réagissez-vous à la disparition de ce circuit parallèle auquel vous êtes resté fidèle ?

Notre politique de diffusion, nos choix délibérés, viennent de prendre un sacré coup. il est très difficile de savoir de quoi il retourne réellement. le décret d'interdiction parle de problèmes sonores des musiques amplifiées, de décibels trop élevés, mais ce n'est absolument pas le cas de ces bars. Il y a quelques années L'Atmosphère avait fait des travaux d'insonorisation, puis on a dû jouer plus tôt, de 20H à 22H. Maintenant on va peut-être nous imposer de jouer de 17H à 19H, avec des cachets normalisés. Bien sûr, il faut trouver une solution. Mais je me méfie énormément des associations qui rentrent dans un combat, qui deviennent vite des institutions. Ca a toujours été semi-légal, hors système. il faut rester hors système, il y a de la place pour tout le monde ! L'Atmosphère, c'est là que j'ai le plus de tac. C'est beaucoup plus impressionnant pour moi qu'une grande salle. Là, dans l'étroitesse du lieu, avec le public à trois centimètre du pavillon du sax, tu ne peux vraiment pas tricher.

Ce paiement à la casquette, en lieu et place de la légalité des cachets régulièrement déclarés, vous paraît-il plus naturel parce que vous venez de Hongrie, d'une tradition de musique populaire ?

Peut-être. En tout cas, ça n'est pas conscient. mais depuis les changements politiques, les gens ne chantent plus en Hongrie ! Heureusement dans les villages de Transylvanie, dans les zones rurales, il y a encore une vraie tradition, On y a récemment fait une tournée dans des conditions extraordinaires. Le public était très différent l'écoute paradoxalement beaucoup moins extériorisée qu'ici. Il n'y a pas cette espèce d'enthousiasme qui peut déborder à chaque instant. Quand tu ne le sais pas, tu te demandes vraiment ce qui se passe, c'est flippant. Mais à la fin du concert tu te rends compte qu'il s'est vraiment passé quelque chose, de façon beaucoup plus intériorisée.

Avez-vous le sentiment de pouvoir être une porte ouverte sur le jazz pour une partie de votre public ?

J'espere l'être un peu. Que ce soit à L'Atmosphère ou ailleurs, le public est souvent assez jeune, se renouvelle sans arrêt. Il y a sûrement une partie d'entre eux qui viennent à cause de Noir désir, et parce que je joue avec Bertrand Cantat. Des gens qui n'écoutent pas forcément du jazz...

Comment s'est constitué l'orchestre qui joue sur votre dernier disque "Elettér" ?

Le groupe est complètement hétéroclite, tout le monde vient d'univers différents. Philippe Foch, le batteur, a souvent travaillé pour le théâtre et la danse. Bernard Maladain, le contrebassiste, a beaucoup joué de jazz manouche, notamment avec Angelo Debarre ou dans le cirque Zingaro. Joe Doherty, le violoniste, s'est fait connaître avec le groupe rock Sons Of the Desert et c'est grâce a lui que j'ai élargi mes connaissance sur Ornette [Coleman] . Bob Coke est à la fois ingénieur du son, producteur et musicien. On dit que Bertrand Cantat vient du punk-rock. Alexandre hautelain, clarinettiste rencontré à l'Atmosphère, a une formation classique. J'ai aussi fait appel à Pap Diaye, Sénégalais, pour certains morceaux où j'entendais des couleurs africaines. Robert Benkö a longtemps été le contrebassiste de Mihaly Dresch, et Peter Eric, le violoniste, avec qui j'avais depuis longtemps envie de travailler, est membre de l'ensemble traditionnel Muzsikàs. Mais le projet de ce disque est moins lié à un concept musical qu'à la vie quotidienne, à certains paradoxes dont je cherche la réponse. Comment est-il possible de venir de quelque part et d'être citoyen du monde ? Comment est-il possible de vivre ensemble ? pour ma part j'essaye d'être responsable. Autrement que les hommes politiques qui se disent responsables des autres. En ce sens, je me sens moins leader que catalyseur de mon groupe. je n'ai pas besoin d'être un personnage public, je joue.

Vous aviez projeté d'enregistrer avec Don Moye, pourquoi cette rencontre a-t-elle échouée?

"Elettér" signifie "espace de vie" : pour que le projet soit réussi chacun devait y adhérer. Je ne voulais pas faire un disque de rencontre avec Don moye. De plus, c'est un musicien américain d'une autre génération. On n'a pas le même rapport à l'argent... Moi, je fonctionne plutôt à l'épaisseur des rapports humains. Pas à la notoriété musicale et aux rencontres éphémères.

Existence, Etre, Origine, Source, Âme... les titres d'"Elettér" font penser à la spiritualité de la dernière période de Coltrane. Sa quête spirituelle, ou celle des musiciens de sa génération est elle pour vous une référence ?

Je crois que mes références viennent d'ailleurs, mais c'est vrai que c'est l'une des raisons pour lesquelles je me suis intéressé à ces musiques.

Dans la culture hongroise, le chant et la danse sont très importants, le sens de la pulsation aussi. mais il semble que c'est justement le point faible du groupe, l'esprit de l'Unit et la qualité générale de la toile en étant les points forts. Auriez-vous envie de quelque chose de plus fort en ce qui concerne l'aspect rythmique ?

Oui, bien sûr, mais chacun a des problèmes, moi le premier. Il est capital pour moi de disposer d'un groupe stable, dans lequel la relation humaine est primordiale. Je préfèrerais toujours travailler avec des amis. je constate d'ailleurs avec grand plaisir que la famille s'agrandit. Il serait sans doute possible de jouer avec des musiciens qui pulsent davantage, mais je n'ai pas dans l'idée de changer mon groupe d'un coup de baguette magique. Les choses doivent se faire plus en profondeur. peut être que le groupe n'est pas ultra performant, mais, ensemble, l'on arrive à raconter quelque chose de sincère.

N'êtes-vous pas excédé par les références perpétuelles des journalistes à Gato Barbieri ou Pharoah Sanders à votre propos, ou de voir taxer votre musique de néo-free ?

J'en avais marre avant que ça recommence. les références ou les étiquettes permettent peut-être de situer les choses, mais à ce moment-là il faudrait que la liste soit un peu plus vaste, car j'ai encore plus été influencé par led Zeppelin ou Bela Bartok...

Comment ressentez-vous les critiques, qui n'ont pas manqué, et le récent  coup de projecteur médiatique lié à votre série d'albums sur une major ?

J'essaye de m'en tenir à l'écart le plus possible. en France le rapport entre le journaliste et la personne interviewée est souvent déséquilibré, contrairement en Allemagne ou en Hongrie, où le journaliste ne se sent pas au dessus de musicien. Il s'intéresse davantage à ce que tu fais plutôt qu'à toi. La critique de mon dernière disque dans Jazzman a ouvert la voie à toute une série d'articles qui parlaient énormément de moi, de ce que les médias ou les publicitaires ont montré, mais pas du tout de la musique. Je refuse, ça me rend fou ! Une fois de plus, le propos c'est la musique pas le musicien.

Avez -vous des projets avec la formation actuelle ou avec de nouveaux partenaires ?

Je ne cherche pas forcément à rencontrer de nouveaux musiciens, même si je reste ouvert. Le compositeur Pierre Henry nous a récemment entendu. Il m'a proposé de faire avec lui la musique de Dziga Vertov L'Homme à la camera, pour le cirque d'hiver à Paris, en Mars prochain. Formidable ! Mais, une fois encore, si je n'avais pas eu un contact humainement fort avec lui, il aurait pu me proposer le projet le plus important du siècle, j'aurais refusé.

Jazzman N° 49 (juillet-août 1999)

Propos recueillis par Alex Dutilh et Thierry Lepin