Interview "discussion" réalisée le 16 mars 2001, à la MJC Picaud à Cannes




Tu es un musicien très fidèle, tu joue pratiquement avec les mêmes musiciens depuis l'enregistrement de ton premier album, Pannnonia...

Akosh S.: "Oui. Il y a eu quelques changements... il y avait, au début, Michelle Véronique, violoniste, avec qui on a arrêté après, et on a continué en trio pendant un petit moment. Ensuite Joe [Doherty] est arrivé, et depuis il y a eu pas mal de passages, histoire d'agrandir la famille plutôt que d'en changer les bases. On continue à rencontrer des gens, et il m'arrive aussi de jouer avec d'autres personnes. En France, il n'est pas forcément toujours facile de garder un groupe, et j'estime que c'est déjà pas mal ce qu'on est arrivé à faire jusqu'à maintenant. Après, il n'est pas toujours donné que tout le monde puisse être disponible, parce que ce n'est pas forcément facile à vivre... donc, j'ai de la rechange!"

Comment travaillez-vous, et comment a évolué votre relation musicale?
Akosh: "Je compose les morceaux, mais il y a en qui sont écrits, et d'autres beaucoup moins, et par moment c'est quelque chose de très court et très petit qui est lancé, et c'est à l'ensemble de développer."

Comme tu n'aimes pas les etiquettes réductrices, peux-tu décrire ta musique... une musique aux influences traditionnelles et de free jazz?
Akosh: "Je serais le dernier à décrire cette musique... il y a effectivement des influences de musiques traditionnelles, pas forcément que de mon pays, mais il ya aussi plein d'autres choses. Je crois que si on reste sur une histoire de style, on passe à côté de pleins de choses, parce que ça ne raconte rien sur l'attitude, ou sur comment ça circule entre les musiciens... donc, je me méfie énormément de ces enfermements de styles... mais je ne peux pas décrire ma musique, je la joue."

Tous les titres de tes albums, ainsi que les titres des morceaux ont un sens bien précis, ils sont choisit avec soin: Imafa (Arbre de Vie), Eletter (Espace de Vie)...
Akosh: "On ne fait pas un album en disant qu'il faut faire un album. Je crois qu'il est nécessaire qu'il se passe quelque chose d'extérieur - un sujet urgent et important - qui fasse que la chose naisse. Même si il est possible d'avoir des morceaux qu'on joue déjà ou qui ont déjà été enregistré... mais pour finaliser un album, il faut qu'il y ait quelque chose d'autre. Sortir un album juste pour sortir un album, ça ne sert à rien."

KebelenKebelen, ton dernier album est sorti le 23 mars... que signifie Kebelen?

Akosh: "Pour la pochette, au lieu d'essayer de traduire Kebelen, on a scanné la page du dictionnaire hongrois-français, avec les différentes significations... et c'est en ayant toutes ces significations qu'on a une toute petite idée de ce que cela veut dire. Mais, si tu veux, Kebel, ça veut dire poitrine, ou sein, et Kebelen, au sein... mais dans tous les sens du terme... par exemple, barrat, signifie ami, et kebel barrat c'est quelqu'un que tu serres contre ton coeur tellement il t'es important.... forcément aussi la maman qui allaite son enfant, et nous qui vivons là où nous vivons... le mot peut englober tout ça."

Joe Doherty, "tout à l'heure, tu parlais de folk music et de free..."
Joe Doherty: "Ce qui est sur, c'est que dans les musiques traditionnelles, il y a une circulation à un certain niveau. Tu trouves la même chose dans le free jazz. Si tu as une tradition folklorique, je pense que c'est beaucoup plus facile de travailler avec quelqu'un d'autre, même si il a une culture folklorique d'un autre pays - tu peux communiquer au même niveau - alors que quand tu fais une musique classique, cela ne t'aide pas à faire le lien avec l'autre..."

Akosh: "... contrairement à ce que l'on croit, ce sont les gens qui pratiquent la musique traditionnelle qui sont les meilleurs jazzmen, pas les jazzmen même..."

Joe : "...et le jazz c'est la musique d'une sorte de deuxième nation aux Etats-Unis, c'est quelque part, la musique folklorique des blacks américains... je le sens comme ça... le jazz c'est une autre musique folklorique, c'est une tradition orale..."

Akosh: "...sur scène on ne joue pratiquement jamais des trucs très écrits, en ce moment en tout cas, on verra dans quel sens ça va aller. Mais je crois que tout ce "merdier" évolue dans un sens où les thèmes sont de plus en plus en plus simples, de plus en plus condensés, tout en donnant une couleur ou une impulsion pour de l'improvisation de plus en plus libre. Donc, on peut s'estimer heureux, parce ce que c'est ce qu'on a toujours voulu !"

Joe: "Kebelen, en fait c'était des choses qu'on avait déja faites en studio, ou en concerts... des choses où ça parlait qui ont été choisies et montées sur ordinateur... et c'est la première fois que je vois ça! On a fait des compositions à partir d'improvisations libres..."

Akosh: "Oui, et c'est un travail en studio qui est plus propre à d'autres univers musicaux, par exemple, à quelqu'un come Prince, ou des pratiques qui se font dans le rap, tout en gardant la même base, le même univers musical qui est le notre.
Le sujet, c'était un tout petit peu comment habiter l'espace sonore et géographique, forcément liés... c'est difficile d'en parler. Disons que ce n'est parce qu'on est assis là, à cette table, en train de discuter, qu'à quelques kilomètres d'ici, il n'y a pas une guerre, et même si nous on est tranquille, quelque part cette guerre agit quand même sur nous, enfin sur moi oui. C'est une autre manière de vivre l'information que par exemple sur TF1, et c'est une autre responsabilité aussi, donc c'est un peu ça que ça cherche..."

Tu penses que la musique peut contribuer à changer les choses? A aider les gens?
Akosh: "Si je n'y croyais pas, je ne le ferais pas, en même temps, je n'ai absolument aucune certitude... Je ne me raconte pas d'histoires non plus."

Joe: "C'est plus personnel pour les musiciens. Si tu veux jouer cette musique, c'est pour toi-même, mais quand tu trouves une communication avec d'autres musiciens, oui tu peux imaginer qu'il y a quelque chose qui a changé, parce que malgré tout c'est possible d'être en harmonie..."

Akosh: "Oui, le travail doit se faire avant tout sur soi-même, et après, si on arrive à faire quelque chose, on peut espérer que ça se propage par le fait qu'on monte sur une scène et qu'on essaye de partager des choses avec les gens qui sont présents. Donc forcément, tu espères que ça véhicule quelque chose, mais tu n'y penses pas en le faisant."

Joe: "Quand tu vois la musique des années 60, avec le free jazz, les musiciens noirs qui expérimentaient, et en même temps la lutte pour les droits civiques, quand tu regarde tout ce qu'on fait Charles Mingus ou John Coltrane, et le contexte historique... les deux étaient très liés, mais en même temps, tu ne peux pas dire que c'est parti de la musique... Si tu es dans la musique créative, forcément tu es concerné par ce genre d'issues. Avec la musique, on peut changer des choses, mais je n'aime pas dire ça. Je travaille aussi avec le groupe Zebda, et là tu sens que ça marche!"

Akosh, tu as participé à la compilation "Tibet Libre", le Tibet c'est une cause qui te tiens particulièrement à coeur?
Akosh: "Oui, j'ai fait le morceau tout seul, parce que personne n'était libre à ce moment là, et ensuite Bertrand [Cantat] est venu écrire un texte et poser une voix dessus. Forcément, on se sent concerné par le Tibet, mais je crois qu'il s'agit d'une cause beaucoup plus globale, on peut même dire universelle. Bien sur, il y a une charge supplémentaire parce que le Tibet représente quand même, en quelque sorte, le toit du monde, avec le bouddhisme, etc... après chacun a son histoire par rapport à ça. Je crois que c'est une attitude naturelle qui fait qu'on répond à certaines choses ou à certaines demandes, et qu'on continue à travailler avec des gens qui poursuivent une activité extra musicale parce que ça nous semble important, tout en sachant qu'il ne faut pas renverser les rôles. Nous sommes musiciens, et c'est avec la musique que nous pouvons participer, mais il est important de rencontrer des gens qui travaillent d'une manière plus concrète, plus spécialisée, sur le terrain. On va faire un concert de soutien pour les sans-papiers, qui ont commencé une grève de la faim le 26 février. On nous a contacté, et il était hors de question de ne pas essayer, au moins, d'y aller."

Tu retournes souvent en Hongrie, depuis ton départ en 1986?
Akosh: "J'y suis retourné avec le groupe, on a fait une première tournée en trio, à l'époque où Joe n'était pas encore là, et on en a fait une autre, il y a deux ans, à cinq, avec Bertrand. On est allé en Hongrie et en Transylvannie. Sinon, dans ma vie privée, c'est rare, mais j'y vais quand je peux..."

Que penses tu d'Internet et des possibilités d'échanges et de découvertes musicales qu'il permet?

Akosh: "Le peu que je connaisse d'Internet, me parait très intéressant, mais je connais trop peu pour vraiment en parler. Il faudrait que je m'y mette."

Joe: "Je trouve ça un peu bizarre... je me rend compte qu'il y a des gens qui remplissent le disque dur de leur ordinateur avec des MP3, et en fait, je ne sais même pas si ils écoutent vraiment la musique. C'est juste pour l'avoir, la stocker. Et puis, je n'aime pas le son du MP3, c'est mieux un CD. Par exemple, dans une voiture, tu ne peux pas écouter certains disques de jazz... Kind Of Blue, ça ne marche pas dans un camion, par contre, un Rolling Stones ça passe très bien... et j'ai l'impression que Internet c'est un peu ça. Il y a certaines musiques qui passent bien en MP3, et je suis certain qu'il y a des gens qui pensent en MP3... Je trouve plus important le fait que beaucoup de gens ont un ordinateur chez eux, et qu'ils peuvent faire de la musique avec... et ça c'est très intéressant, ça va donner quelque chose..."

Akosh: "Je crois que la musique ça s'écoute en concert, malgré tout."

Joe: "Hier, j'ai regardé un film, chez Akosh, d'un concert qu'Ornette Coleman a fait dans les années 70, avec son fils. Son fils était à Harlem, et lui dans le lower East side... un concert d'improvisation directe, retransmis sur un écran, avec le son diffusé par satellite..."

Akosh: "Il y a quatre ans, j'ai fait quelque chose comme ça, avec la Knitting Factory à New York... D'abord en solo, et puis une improvisation avec des musiciens new yorkais... c'était bizarre quand même, déjà à cause du décallage, mais à la limite, ça peut créer des choses rigolotes, mais de ne pas jouer avec quelqu'un dont tu sens l'énergie, de ne pas avoir la personne physiquement à côté de toi, et que le son ne passe pas par l'air, mais par ce qui l'envoie, par une machine, c'est bizarre. C'est rigolo, mais je ne vais pas me mettre à faire ça parce que je trouve ça extraordinaire, non!"

Vous avez joué récemment, au festival Sons d'hiver, avec des musiciens Gnaoua? Comment s'est passée cette rencontre?
Akosh: "J'ai rencontré le Maâlem dans un autre contexte, où j'étais invité pour faire une création avec lui, ses musiciens, et un autre groupe, et quand Sons d'hiver nous à demandé de faire une création, j'ai pensé à eux. J'écoute cette musique depuis très lontemps, mais j'ai presque hésité à faire la création avec eux parce que c'est tellement à la mode maintenant, que je me suis dit que ça allait être mal interprété. En même temps, je me suis dit que ce n'était pas parce que d'autres le faisaient aussi qu'il fallait que je me mette de côté un amour de plusieurs années. On a pu répéter trois jours ensemble, les répétitions étaient superbes... ces personnes là peuvent débarquer n'importe où, et la vérité va être là. On était tellement content, que moi, par exemple, j'ai complètement zappé les histoires de scène, de balance... et à cause de problèmes techniques, on s'est fait un tout petit peu avoir. En plus, il y a des grosses différences culturelles, quand ils jouent, il y a un autre rapport avec les gens qui écoutent ou qui se font soigner par cette musique que par exemple avec la musique qu'on essaye de faire, entièrement basée sur l'interaction qu'il y a entre les musiciens, donc si eux ils se mettent à faire quelque chose uniquement en rapport avec le public, et qu'on perd le contact ensemble... la moitié de l'affaire est biaisée."

Joe: "En fait, en répétition, quand tu joues avec eux, c'est comme si tu étais le public, et ils donnent énormément, mais quand tu les déplace sur scène, ils donnent tout au public."

Akosh: "Ca s'est passé comme ça cette fois, mais je crois que c'est quelque chose qu'il faut absolument refaire, et petit à petit trouver quelque chose qui fasse que sur scène ça circule comme il faut que ça circule, pour que la charge soit là. Mais sinon, c'était très bien."

Tu connais la musique du pianiste cubain Omar Sosa? D'une certaine manière, sa musique rassemble différentes cultures africaines, traditionnelles, ou moderne, comme le rap, avec un lien certain avec le jazz...
Akosh: "Je crois que ce genre d'interaction, pleinement vécue, entre les gens, éclaire ce pourquoi on essaye de faire des choses avec des personnes qui ont leur tradition. Par contre, quand c'est uniquement des histoires de business, ça donne des résultats vraiment fade, parce que le fondement même de l'histoire est négligé."

Joe: "J'ai, par exemple, beaucoup de mal avec le label de Peter Gabriel, Real World. Il prend par exemple des musiciens africains, et il les pose, les fige, en studio, alors que cette musique, tu ne sais pas quand elle commence ou quand elle finit, ça tourne tout le temps, ça joue!"

Akosh: "Et une bonne partie de son essence est perdue à cause de ça. L'intérêt c'est justement d'essayer de comprendre l'essence et l'esprit qui animent ces gens, qui animent leur expression. Sinon, ça ne sert à rien."

Pour terminer, quels sont les projets du groupe?

Akosh: "Cette année, comme c'est l'année culturelle hongroise, ça nous laisse la possibilité d'inviter des musiciens de là-bas. Donc, on va faire quelques concerts avec eux, peut-être monter aussi un petit festival - ça va surement être très intéressant.
Sinon, comme chacun travaille aussi de son côté... je vais jouer prochainement avec une autre formation, où je crois que ce sera une musique improvisée sans aucun thème."

Avec quels musiciens?
Akosh: "Il y a un projet prévu avec Christian Rollet à la batterie, Jean Bolcato à la basse, Charlie O. à l'orgue - je n'ai jamais joué avec un orgue, ça va être quelque chose! - et un jeune tromboniste que je ne connais pas encore, mais on va se rencontrer pour jouer... sinon, il est prévu que je fasse quelque chose avec Erik M., un DJ marseillais fou furieux, avec d'autres gens, peut-être Quentin Rollet... une résidence Rectangle, le petit label qui a sorti l'album "Orléans", en hommage à Albert Ayler... "

- Kat -