Tu es un musicien très fidèle, tu joue pratiquement avec les mêmes
musiciens depuis l'enregistrement de ton premier album, Pannnonia...
Akosh S.: "Oui. Il y a eu quelques
changements... il y avait, au début, Michelle Véronique, violoniste,
avec qui on a arrêté après, et on a continué en trio pendant un petit
moment. Ensuite Joe [Doherty] est arrivé, et depuis il y a eu pas mal
de passages, histoire d'agrandir la famille plutôt que d'en changer
les bases. On continue à rencontrer des gens, et il m'arrive aussi de
jouer avec d'autres personnes. En France, il n'est pas forcément toujours
facile de garder un groupe, et j'estime que c'est déjà pas mal ce qu'on
est arrivé à faire jusqu'à maintenant. Après, il n'est pas toujours
donné que tout le monde puisse être disponible, parce que ce n'est pas
forcément facile à vivre... donc, j'ai de la rechange!"
Comment travaillez-vous, et comment a évolué
votre relation musicale?
Akosh: "Je compose les morceaux, mais
il y a en qui sont écrits, et d'autres beaucoup moins, et par moment
c'est quelque chose de très court et très petit qui est lancé, et c'est
à l'ensemble de développer."
Comme tu n'aimes pas les etiquettes réductrices,
peux-tu décrire ta musique... une musique aux influences traditionnelles
et de free jazz?
Akosh: "Je serais le dernier à décrire cette
musique... il y a effectivement des influences de musiques traditionnelles,
pas forcément que de mon pays, mais il ya aussi plein d'autres choses.
Je crois que si on reste sur une histoire de style, on passe à côté
de pleins de choses, parce que ça ne raconte rien sur l'attitude, ou
sur comment ça circule entre les musiciens... donc, je me méfie énormément
de ces enfermements de styles... mais je ne peux pas décrire ma musique,
je la joue."
Tous les titres de tes albums, ainsi que les
titres des morceaux ont un sens bien précis, ils sont choisit avec soin:
Imafa (Arbre de Vie), Eletter (Espace de Vie)...
Akosh: "On ne fait pas un album en
disant qu'il faut faire un album. Je crois qu'il est nécessaire qu'il
se passe quelque chose d'extérieur - un sujet urgent et important -
qui fasse que la chose naisse. Même si il est possible d'avoir des morceaux
qu'on joue déjà ou qui ont déjà été enregistré... mais pour finaliser
un album, il faut qu'il y ait quelque chose d'autre. Sortir un album
juste pour sortir un album, ça ne sert à rien."
Kebelen, ton dernier album est sorti le 23
mars... que signifie Kebelen?
Akosh: "Pour la pochette, au lieu
d'essayer de traduire Kebelen, on a scanné la page du dictionnaire hongrois-français,
avec les différentes significations... et c'est en ayant toutes ces
significations qu'on a une toute petite idée de ce que cela veut dire.
Mais, si tu veux, Kebel, ça veut dire poitrine, ou sein, et Kebelen,
au sein... mais dans tous les sens du terme... par exemple, barrat,
signifie ami, et kebel barrat c'est quelqu'un que tu serres contre ton
coeur tellement il t'es important.... forcément aussi la maman qui allaite
son enfant, et nous qui vivons là où nous vivons... le mot peut englober
tout ça."
Joe Doherty, "tout à l'heure, tu parlais de folk
music et de free..."
Joe Doherty: "Ce qui est sur, c'est que dans
les musiques traditionnelles, il y a une circulation à un certain niveau.
Tu trouves la même chose dans le free jazz. Si tu as une tradition folklorique,
je pense que c'est beaucoup plus facile de travailler avec quelqu'un
d'autre, même si il a une culture folklorique d'un autre pays - tu peux
communiquer au même niveau - alors que quand tu fais une musique classique,
cela ne t'aide pas à faire le lien avec l'autre..."
Akosh: "... contrairement à ce que l'on croit,
ce sont les gens qui pratiquent la musique traditionnelle qui sont les
meilleurs jazzmen, pas les jazzmen même..."
Joe : "...et le jazz c'est la musique d'une
sorte de deuxième nation aux Etats-Unis, c'est quelque part, la musique
folklorique des blacks américains... je le sens comme ça... le jazz
c'est une autre musique folklorique, c'est une tradition orale..."
Akosh: "...sur scène on ne joue pratiquement
jamais des trucs très écrits, en ce moment en tout cas, on verra dans
quel sens ça va aller. Mais je crois que tout ce "merdier" évolue dans
un sens où les thèmes sont de plus en plus en plus simples, de plus
en plus condensés, tout en donnant une couleur ou une impulsion pour
de l'improvisation de plus en plus libre. Donc, on peut s'estimer heureux,
parce ce que c'est ce qu'on a toujours voulu !"
Joe: "Kebelen, en fait c'était des choses
qu'on avait déja faites en studio, ou en concerts... des choses où ça
parlait qui ont été choisies et montées sur ordinateur... et c'est la
première fois que je vois ça! On a fait des compositions à partir d'improvisations
libres..."
Akosh: "Oui, et c'est un travail en studio
qui est plus propre à d'autres univers musicaux, par exemple, à quelqu'un
come Prince, ou des pratiques qui se font dans le rap, tout en gardant
la même base, le même univers musical qui est le notre.
Le sujet, c'était un tout petit peu comment habiter l'espace sonore
et géographique, forcément liés... c'est difficile d'en parler. Disons
que ce n'est parce qu'on est assis là, à cette table, en train de discuter,
qu'à quelques kilomètres d'ici, il n'y a pas une guerre, et même si
nous on est tranquille, quelque part cette guerre agit quand même sur
nous, enfin sur moi oui. C'est une autre manière de vivre l'information
que par exemple sur TF1, et c'est une autre responsabilité aussi, donc
c'est un peu ça que ça cherche..."
Tu penses que la musique peut contribuer à changer
les choses? A aider les gens?
Akosh: "Si je n'y croyais pas, je
ne le ferais pas, en même temps, je n'ai absolument aucune certitude...
Je ne me raconte pas d'histoires non plus."
Joe: "C'est plus personnel pour les
musiciens. Si tu veux jouer cette musique, c'est pour toi-même, mais
quand tu trouves une communication avec d'autres musiciens, oui tu peux
imaginer qu'il y a quelque chose qui a changé, parce que malgré tout
c'est possible d'être en harmonie..."
Akosh: "Oui, le travail doit se faire
avant tout sur soi-même, et après, si on arrive à faire quelque chose,
on peut espérer que ça se propage par le fait qu'on monte sur une scène
et qu'on essaye de partager des choses avec les gens qui sont présents.
Donc forcément, tu espères que ça véhicule quelque chose, mais tu n'y
penses pas en le faisant."
Joe: "Quand tu vois la musique des
années 60, avec le free jazz, les musiciens noirs qui expérimentaient,
et en même temps la lutte pour les droits civiques, quand tu regarde
tout ce qu'on fait Charles Mingus ou John Coltrane, et le contexte historique...
les deux étaient très liés, mais en même temps, tu ne peux pas dire
que c'est parti de la musique... Si tu es dans la musique créative,
forcément tu es concerné par ce genre d'issues. Avec la musique, on
peut changer des choses, mais je n'aime pas dire ça. Je travaille aussi
avec le groupe Zebda, et là tu sens que ça marche!"
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Akosh,
tu as participé à la compilation "Tibet Libre", le Tibet c'est une
cause qui te tiens particulièrement à coeur?
Akosh:
"Oui, j'ai fait le morceau tout seul, parce que personne n'était
libre à ce moment là, et ensuite Bertrand [Cantat] est venu écrire
un texte et poser une voix dessus. Forcément, on se sent concerné
par le Tibet, mais je crois qu'il s'agit d'une cause beaucoup plus
globale, on peut même dire universelle. Bien sur, il y a une charge
supplémentaire parce que le Tibet représente quand même, en quelque
sorte, le toit du monde, avec le bouddhisme, etc... après chacun
a son histoire par rapport à ça. Je crois que c'est une attitude
naturelle qui fait qu'on répond à certaines choses ou à certaines
demandes, et qu'on continue à travailler avec des gens qui poursuivent
une activité extra musicale parce que ça nous semble important,
tout en sachant qu'il ne faut pas renverser les rôles. Nous sommes
musiciens, et c'est avec la musique que nous pouvons participer,
mais il est important de rencontrer des gens qui travaillent d'une
manière plus concrète, plus spécialisée, sur le terrain. On va faire
un concert de soutien pour les sans-papiers, qui ont commencé une
grève de la faim le 26 février. On nous a contacté, et il était
hors de question de ne pas essayer, au moins, d'y aller." |
Tu retournes souvent en Hongrie, depuis ton départ
en 1986?
Akosh: "J'y suis retourné avec le groupe,
on a fait une première tournée en trio, à l'époque où Joe n'était pas
encore là, et on en a fait une autre, il y a deux ans, à cinq, avec
Bertrand. On est allé en Hongrie et en Transylvannie. Sinon, dans ma
vie privée, c'est rare, mais j'y vais quand je peux..."
Que penses tu d'Internet et des possibilités d'échanges
et de découvertes musicales qu'il permet?
Akosh: "Le peu que je connaisse
d'Internet, me parait très intéressant, mais je connais trop peu pour
vraiment en parler. Il faudrait que je m'y mette."
Joe: "Je trouve ça un peu bizarre...
je me rend compte qu'il y a des gens qui remplissent le disque dur de
leur ordinateur avec des MP3, et en fait, je ne sais même pas si ils
écoutent vraiment la musique. C'est juste pour l'avoir, la stocker.
Et puis, je n'aime pas le son du MP3, c'est mieux un CD. Par exemple,
dans une voiture, tu ne peux pas écouter certains disques de jazz...
Kind Of Blue, ça ne marche pas dans un camion, par contre, un Rolling
Stones ça passe très bien... et j'ai l'impression que Internet c'est
un peu ça. Il y a certaines musiques qui passent bien en MP3, et je
suis certain qu'il y a des gens qui pensent en MP3... Je trouve plus
important le fait que beaucoup de gens ont un ordinateur chez eux, et
qu'ils peuvent faire de la musique avec... et ça c'est très intéressant,
ça va donner quelque chose..."
Akosh: "Je crois que la musique ça s'écoute
en concert, malgré tout."
Joe: "Hier, j'ai regardé un film, chez Akosh,
d'un concert qu'Ornette Coleman a fait dans les années 70, avec son
fils. Son fils était à Harlem, et lui dans le lower East side... un
concert d'improvisation directe, retransmis sur un écran, avec le son
diffusé par satellite..."
Akosh: "Il y a quatre ans, j'ai fait quelque
chose comme ça, avec la Knitting Factory à New York... D'abord en solo,
et puis une improvisation avec des musiciens new yorkais... c'était
bizarre quand même, déjà à cause du décallage, mais à la limite, ça
peut créer des choses rigolotes, mais de ne pas jouer avec quelqu'un
dont tu sens l'énergie, de ne pas avoir la personne physiquement à côté
de toi, et que le son ne passe pas par l'air, mais par ce qui l'envoie,
par une machine, c'est bizarre. C'est rigolo, mais je ne vais pas me
mettre à faire ça parce que je trouve ça extraordinaire, non!"
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Vous
avez joué récemment, au festival Sons d'hiver, avec des musiciens
Gnaoua? Comment s'est passée cette rencontre?
Akosh: "J'ai rencontré le Maâlem
dans un autre contexte, où j'étais invité pour faire une création
avec lui, ses musiciens, et un autre groupe, et quand Sons d'hiver
nous à demandé de faire une création, j'ai pensé à eux. J'écoute
cette musique depuis très lontemps, mais j'ai presque hésité à faire
la création avec eux parce que c'est tellement à la mode maintenant,
que je me suis dit que ça allait être mal interprété. En même temps,
je me suis dit que ce n'était pas parce que d'autres le faisaient
aussi qu'il fallait que je me mette de côté un amour de plusieurs
années. On a pu répéter trois jours ensemble, les répétitions étaient
superbes... ces personnes là peuvent débarquer n'importe où, et
la vérité va être là. On était tellement content, que moi, par exemple,
j'ai complètement zappé les histoires de scène, de balance... et
à cause de problèmes techniques, on s'est fait un tout petit peu
avoir. En plus, il y a des grosses différences culturelles, quand
ils jouent, il y a un autre rapport avec les gens qui écoutent ou
qui se font soigner par cette musique que par exemple avec la musique
qu'on essaye de faire, entièrement basée sur l'interaction qu'il
y a entre les musiciens, donc si eux ils se mettent à faire quelque
chose uniquement en rapport avec le public, et qu'on perd le contact
ensemble... la moitié de l'affaire est biaisée." |
Joe: "En fait, en répétition, quand tu joues
avec eux, c'est comme si tu étais le public, et ils donnent énormément,
mais quand tu les déplace sur scène, ils donnent tout au public."
Akosh: "Ca s'est passé comme ça cette
fois, mais je crois que c'est quelque chose qu'il faut absolument refaire,
et petit à petit trouver quelque chose qui fasse que sur scène ça circule
comme il faut que ça circule, pour que la charge soit là. Mais sinon,
c'était très bien."
Tu connais la musique du pianiste cubain Omar
Sosa? D'une certaine manière, sa musique rassemble différentes cultures
africaines, traditionnelles, ou moderne, comme le rap, avec un lien
certain avec le jazz...
Akosh: "Je crois que ce genre d'interaction,
pleinement vécue, entre les gens, éclaire ce pourquoi on essaye de faire
des choses avec des personnes qui ont leur tradition. Par contre, quand
c'est uniquement des histoires de business, ça donne des résultats vraiment
fade, parce que le fondement même de l'histoire est négligé."
Joe: "J'ai, par exemple, beaucoup de mal
avec le label de Peter Gabriel, Real World. Il prend par exemple des
musiciens africains, et il les pose, les fige, en studio, alors que
cette musique, tu ne sais pas quand elle commence ou quand elle finit,
ça tourne tout le temps, ça joue!"
Akosh: "Et une bonne partie de son essence
est perdue à cause de ça. L'intérêt c'est justement d'essayer de comprendre
l'essence et l'esprit qui animent ces gens, qui animent leur expression.
Sinon, ça ne sert à rien."
Pour terminer, quels sont les projets du groupe?
Akosh: "Cette année, comme c'est l'année
culturelle hongroise, ça nous laisse la possibilité d'inviter des musiciens
de là-bas. Donc, on va faire quelques concerts avec eux, peut-être monter
aussi un petit festival - ça va surement être très intéressant.
Sinon, comme chacun travaille aussi de son côté... je vais jouer prochainement
avec une autre formation, où je crois que ce sera une musique improvisée
sans aucun thème."
Avec quels musiciens?
Akosh: "Il y a un projet prévu avec
Christian Rollet à la batterie, Jean Bolcato à la basse, Charlie O.
à l'orgue - je n'ai jamais joué avec un orgue, ça va être quelque chose!
- et un jeune tromboniste que je ne connais pas encore, mais on va se
rencontrer pour jouer... sinon, il est prévu que je fasse quelque chose
avec Erik M., un DJ marseillais fou furieux, avec d'autres gens, peut-être
Quentin Rollet... une résidence Rectangle,
le petit label qui a sorti l'album "Orléans", en hommage à Albert Ayler...
"
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Kat -
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