AKOSH ET A CRI.

 

Alors que son dernier disque , somme d’enregistrements live et de chutes de studio ,vient de sortir , le saxophoniste hongrois Akosh Szelevényi a eu la bonne idée d’accepter l’invitation de piliers de l’expérimentation musicale version hexagonale comme Charlie O , organiste affilié au label rectangle. Avec quatre compagnons de scènes d’un soir, il se produisait donc le 12 Juin au Confort moderne à Poitiers. Le concert fera l’objet d’un disque qui devrait sortir en 2002. En attendant, Akosh revient sur la genèse de son dernier album et le travail de création au sein de sa formation habituelle: le Unit.

 

- Pense tu avoir une expérience particulière au sein de la scène jazz depuis ta tournée en première partie de Noir Désir ?

Je ne me considère pas comme étant un musicien de Jazz . La plupart du temps j’évite les endroits qui sont destinés au jazz et au public soi-disant connaisseur de Jazz.

 

- Comment s’est déroulé(e) la création de Kebelen, ton dernier album?

Aujourd’hui j’essaie de trouver un fonctionnement qui évite cet espèce de coup par coup, que l’on retrouve dans l’enregistrement studio, et tout ce qui peut ressembler à du sensationnel. J’essaie de trouver une manière de travailler qui ait un rapport différent avec le temps .Ne pas dire : “ voilà à telle et telle date on va en studio , à telle et telle date on mixe et à telle date ça sort ”. Sur bandes, j’ai accumulé pas mal de musiques. Là dedans il y a des musiques qui à l’origine ont été écrites pour un spectacle de nouveau cirque mais il y aussi du live et des choses crées en studio. L’idée c’est d’aller travailler, ne pas travailler pour quelque chose de précis comme un album, mais tout simplement travailler. Avec l’ingénieur du son on a mixé beaucoup de musique juste pour voir ce que cela donnait , non pas pour réaliser un disque. Mais à un moment donné, des évidences sont apparues et j’ai alors finalisé le disque. Tout en sachant que sur bandes il y avait plusieurs autres disques sous ma main.

 

- Ta perception de la création musicale a-t-elle évoluée avec la réalisation de Kebelen ?

Avant de réaliser cet album, j’avais pas mal de bandes remplies de musique et ça faisait un bon bout de temps que ça me titillait cette histoire de studio et de live. Je n’avais absolument plus envie de rentrer en studio et jouer une musique vivante pour des micros, des murs et un ingénieur du son. Je n’étais plus intéressé par l’utilisation de musique prises en concert. Et je me suis d’ailleurs rendu compte qu’il y avait une grosse partie de la musique que je défends qui était mille fois plus intéressante enregistrée en concert. Mais il demeurait que toute une partie restait carrément à faire en studio. Donc j’ai tout simplement essayé de pousser cette réflexion plus loin et j’ai mis ça en pratique. Durant la phase où j’ai finalisé le disque, ce qui m’intéressait effectivement c’était de ne pas me contenter de mixer et de mettre des morceaux les uns à côté des autres mais de pratiquer de nouvelles formes en utilisant les techniques modernes qui ne sont pas utilisées habituellement dans le Jazz.

Preuve supplémentaire que je ne mets pas d’étiquette sur la musique que je fais. Etant quelqu’un qui écoute toute sorte de musique, n’importe quelle musique peut me donner des idées pour développer la mienne. Dans mon album j’ai utilisé des compositions qui existaient et qui se rapprochent de la musique libre et autour de ça je me suis servi de techniques et d’idées utilisées beaucoup plus dans le funk ou le rap, pour prendre des exemples. Sans dire voilà on mélange du rap avec de la musique libre ou je ne sais quoi encore.

 Je ne sais pas jusqu'à quel point on peut appeler Jazz ou autre chose telle partie, telle minute ou tel passage de ma musique. Je m’en fous. Ce qui compte c’est que ce soit de la musique et qu’elle soit honnête.

 

- Le concert de ce soir est l’occasion pour chacun des musiciens de se frotter à d’autres musiciens. Peux - tu nous parler de la formation de ce soir (Patrick Charbonnier :trombone ; Charlie O : orgue Hammond ;Jean Bolcato :contrebasse ;Christian Rollet :batterie) ?

Ce soir c’est une formation qui n’existait pas il y a de cela deux jours. Donc c’est une rencontre , c’est de l’improvisation. C’est cinq personnes essayant de se rencontrer et forcément ça nous fait sortir de nos sillons plus ou moins habituels.

En ce qui concerne mon groupe, le Unit, on a souvent eu l’occasion de jouer avec des gens qui venaient complètement d’ailleurs et même de réunir des personnes qui ont une activité musicale complètement différente.

 

- Parallèlement au Unit, as-tu pris l’habitude de jouer avec d’autres formations ?

L’habitude... peut-être pas, parce que je me suis surtout occupé du groupe. La plupart du temps c’était des gens qui débarquaient pour gonfler cette formation là. En général quand j’ai envie de faire quelque chose, d’aller ailleurs ou de rencontrer d’autres gens , je le fais. Et là, en ce moment, ça arrive peut-être plus souvent qu’avant. C’est peut-être lié à une histoire de confiance en soi, c’est fortement lié à des rencontres que l’on fait.

Par exemple avec Charlie O, qui joue de l’orgue Hammond, on a fait récemment plusieurs concerts ensemble. Dans ma propre formation, je n’aurais jamais eu l’idée d’appeler Charlie, parce que je n’avais pas eu jusque là l’occasion de le rencontrer.

Je crois et je m’intéresse énormément aux instruments traditionnels et acoustiques. Ce n’est pas pour autant que je suis fermé à l’idée d ’ essayer de faire autre chose, comme intégrer un orgue Hammond. Je crois au contraire que c’est très important d’enfoncer ces propres barrières.

 

- On a l’impression qu’au sein du Unit tu ne laisses rien t’échapper que ce soit en terme de compositions ou de productions. Est-ce que les choses se passent réellement comme ça ?

Depuis que l’on joue ensemble, notre musique a pas mal évolué. Il y a eu une période où j’emmenais plus de choses écrites. Après, il est possible que tu aies envie de donner tout simplement des idées de départ et que ce soit réellement le gens qui développent des choses à partir de ça. Ce qui implique d’aller vers beaucoup plus d’improvisation.

Par moment j’emmène de toutes petites choses, par moments des trucs complètement écrits. Quelque part on s’en fout. Ce qui compte c’est que ce qui se réalise soit habité et vrai et que cela corresponde à la philosophie que l’on peut avoir dans la vie.

 

- Qu’est-ce qui caractérise ce groupe à tes yeux ?

Le fondement même du groupe repose sur énormément de travail, énormément de répétitions. En fait on s’est formé en jouant ensemble. Depuis plusieurs années on ne répète plus. On a simplement fait quelques répètes pour réaliser l’album d’avant. Mais je n’avais plus du tout envie de faire ça.

Peut-être que je n’écris pas des choses parce que l’on est pas du tout dans une phase où l’on veut répéter. J’apporte plutôt des idées de départ, des petites choses, des constructions très globales, les grandes lignes des compositions. Après ça peut être expérimenté pratiquement directement. On peut ainsi faire tourner quelque chose de très simple durant la balance et le jouer le soir-même. Après ça fera son chemin. On a joué tellement de musiques différentes et on les a tellement répétées que maintenant on peut piocher dans tout et n’importe quoi. On peut utiliser quelque chose qui est écrit mais on finira toujours par le dévier.

Je crois que c’était très important pour ce groupe là qu’il y ait tout ce travail qui ce soit fait pendant des années pour arriver au stade où l’on en est en ce moment. Et c’est complètement différent de ce qui va se passer ce soir.

 

Il faut donc une fidélité importante entre les musiciens pour arriver à autant de liberté dans la création ?

Oui tout en sachant que le groupe est en train de changer aussi. Pour différentes raisons . Parce que par moment on en a gentiment marre de l’un et l’autre, parce que l’on a envie d’entendre d’autres sons de cloches, parce que l’on fait des rencontres et que l’on a envie d’essayer autre chose.

Et je me suis rendu compte avec grand plaisir qu’alors que beaucoup de choses me faisais un peu peur et que je n’avais pas suffisamment confiance ni en moi ni dans le groupe, qu’il y avait plein de gens qui nous connaissaient et qui étaient très content de jouer dans ce contexte là.

Il est possible que le nom du groupe, “ Akosh S. Unit ”, continue à exister parce que c’est moi qui génère ces trucs là. Mais il est fort probable qu’à l’intérieur même du groupe il y ait du mouvement, qu’il y ait des personnes qui se rajoutent ou que pendant un certain temps quelqu’un ne soit pas là. C’est à dire que le groupe évolue vers une formation à géométrie variable.

 

Sur la pochette de ton dernier album tu es crédité, outre le sax, de nombreux instruments, dont la trompette et le trombone. Pratiques - tu réellement ces deux instruments ?

En fait, je ne me suis pas mis à la trompette ou au trombone. C’est simplement qu’à un moment donné, j’ai acheté des instruments parce que je n’ai pas pu me retenir. Je les utilise au minimum. Je ne peux pas en jouer. Je les utilise seulement comme sonorité quand l’espace musical le demande mais je ne joue pas de trombone. Si ma musique nécessite un trombone, je vais appeler un tromboniste car je ne vais pas pouvoir remplacer un tromboniste.

Dans mon dernier disque, j’ai utilisé la trompette et le trombone comme composant sonore mais en concert je joue quand même des instruments que je maîtrise davantage.

 

- Comment juges - tu les possibilités qui sont offertes pour jouer en France, notamment à Paris ?

Je trouve que c’est de plus en plus catastrophique. Il y a eu une période qui a durée à peu près quatre ans où à Paris on jouait régulièrement dans des bistrots. Le groupe c’est d’ailleurs fait connaître à partir d’un bistrot dans le 10e arrondissement : L’Atmosphère. Tout ça maintenant c’est mort. Il y a très, très peu de lieux alternatifs où il est possible de faire des trucs. Enfin, si l’on s’en tient à Paris, il y en a quelques uns comme L’Olympic café, Main d’oeuvre à Saint-Ouen et deux ou trois bistrots au bois de la Fayette qui essaient de faire quelque chose. Mais il n’y a plus un truc général comme il y en a eu auparavant.

C’est incroyable qu’en France il y ait 200 festivals pendant l’été mais seulement vingt lieux pour jouer pendant le reste de l’année . Il faudrait 200 lieux pour jouer durant l’année et vingt festivals. Ca serait beaucoup plus juste et plus équilibré.

Et l’autre côté des choses c’est que même dans les lieux qui existent dans la continuité, les cachets n’ont pas bougé.

- Maintenant est-ce qu’il y aura des contextes dans lesquels tu joueras sans t'enregistrer ?

Ca arrive déjà bien entendu. Il ne faut pas que l’enregistrement devienne quelque chose de systématique. C ‘est intéressant d’avoir une trace de ce que l’on fait parce que l’on ne sait jamais. Il ne s’agit sûrement pas de coup commercial mais plus de sauvegarder quelque chose, un certain esprit.

 

 

 

Alexandre Duval - http://www.axelibre.org/