Akosh S. : Saxophones tenor & soprano, clarinette basse, flûtes, kalimba, bombarde, chant
Joe Doherty : Violon, flûte, saxophone alto & clarinette basse
Philippe Foch : Batterie et percussions
Bernard Malandain : Contrebasse
Mokhtar Choumane : Ney & Kaval (Flûtes turque et arabe)

AKOSH S. : Libre échange

Paris, le 3 septembre 2002 - Présenté comme le deuxième opus d'une trilogie, le nouvel album d'Akosh S. Unit, Lenne, succède à Kebelen. En fils spirituel de Béla Bartok, le saxophoniste hongrois cultive le jardin de ses origines. Fidèle à sa réputation, il nous offre une expérience musicale digne du free jazz initié dans les années 60. Mais attention, ses propos, à l'image de sa musique, sont totalement libres !

Juste avant d'être reçue par Akosh Szelevenyi dans les bureaux d'Universal Music, je me repasse le film de son dernier concert au Lavoir Moderne Parisien. Au milieu du public, les deux pieds accrochés au plancher, au corps à corps avec ses multiples instruments à vents, il s'était déployé de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Physique imposant, crâne rasé et menton imprimé d'un trait barbu, Akosh S. est en effet impressionnant.

Qu'est ce qu'un artiste indépendant et rebelle fait chez Universal ?

Je n'ai pas signé avec Universal, mais avec Daniel Richard (l'ex-monsieur Jazz de Polygram aujourd'hui Universal, ndlr).

Le titre du précédent album, Kebelen signifiait "le sein maternel". Cette fois, votre disque est baptisé Lenne, c'est-à-dire ?

C'est une expression hongroise qui veut dire "il serait, il pourrait être". C'est l'idée que le monde est là, à notre portée, mais encore faut-il aller à l'origine des choses, dans la profondeur…

Le retour aux origines est-il une bonne définition de votre quête musicale ?

Je suis né le 19 février 1966 à Debrecen en Hongrie. Tout petit, dès 6 ans et jusqu'à 14 ans, j'ai reçu un enseignement classique, je jouais de la flûte, de la clarinette, du basson. Mais mes références, ce sont aussi mes racines magyares, une région aux confins de l'Orient et de l'Occident. Cette expression paysanne m'inspire. Le folklore est inscrit au quotidien dans la vie des gens : la musique fait partie de leur vie, c'est leur manière d'être… Et c'est justement l'héritage de Béla Bartok, mon maître. Il est allé à la rencontre des paysans d'Algérie, de Turquie, de Roumanie. Quant on a grandi avec une telle image, on cultive ce jardin des origines en allant soi-même à la source des musiques vivantes… C'est le taro gato (entre clarinette et sax soporifique) créé par les bergers, c'est la kalimba d'Afrique. Je suis très attaché à la terre dans tout ce qu'elle a donné comme naissance. Mais on peut être attaché à l'art paysan et trouver sa voix personnelle.

Si vous êtes inspiré par le folklore hongrois, vous êtes également très marqué par le free jazz des années 60…

Lorsque j'étais ado, j'ai découvert le rock de Hendrix, de Led Zeppelin et puis Franck Zappa, j'aime aussi beaucoup Prince. A 15 ans, après mon école de musique, j'ai monté un groupe au lycée, je chantais beaucoup. A 16 ans je me suis dit qu'il fallait choisir entre la machine à écrire et le saxophone.

On a compris que vous aviez choisi le saxophone, mais on ne sait toujours pas comment vous avez découvert le free jazz ?

J'avais un ami qui me faisait des cassettes de sa collection de disques de jazz et là, j'ai découvert Magic of Juju d'Archie Shepp. Je ne pouvais pas dire j'aime ou je n'aime pas… c'était tout simplement évident, une chose simple, belle et organique. Cette musique revendicative m'a touché. Je me retrouvais dans cet esprit des années 70, nous étions nombreux à sortir des villes pour aller retrouver nos sources à la campagne. Ce que je défends, et ce en quoi je crois, c'est le free jazz, histoire de remettre les choses à leur place. Je n'ai pas de discours à faire, ce qui compte, ce sont mes actes. Un album, c'est un espace vital, je réunis dix personnes et on joue.

Votre spécificité de musicien réside dans le fait que vous êtes multi-instrumentiste, pourquoi ?

C'est vrai que je joue du saxophone soprano et ténor, de la clarinette, de la clarinette basse, des flûtes, du gardon, du kaval, de la bombarde, de la kalimba et même des percussions ! Je ne peux pas résister, chaque instrument a une âme. A chaque fois, c'est une manière différente de s'exprimer. Je suis très admiratif de Sonny Rollins, qui arrive à tout dire avec un instrument.

Puisque votre groupe est par définition "à géométrie variable", est-ce que vous imaginez l'ouvrir un jour aux pianistes ?

C'est vrai que j'ai agrandi la famille (depuis le premier album) mais je n'en changerai pas les bases. Je n'entends pas de piano et je n'entends pas de guitare non plus, ces instruments ne correspondent pas à ma philosophie. Sur le piano, les notes sont déjà là ! C'est facile ! Si tu veux jouer un do, tu frappes la touche du clavier et tu entends le do. Je refuse le piano parce que je veux présenter quelque chose d'honnête. Lorsque les pianistes plaquent des accords, ça fait beaucoup d'effet, mais ça ne correspond pas à la transparence et à la fluidité que je cherche. C'est pour ça que je parle de philosophie. La philosophie du groupe, c'est la création de cette fluidité à plusieurs. Et puis, il n'y a pas de piano au village, il y a les violons, les flûtes, le chant et la danse… mais pas de piano.

Comment avez-vous créé les morceaux de cet album, et pourquoi avez-vous invité l'Algérien Mokhtar Choumane (qui joue du ney et du kaval) ?

Ce n'est pas un hasard. Pour moi, c'est symbolique et associé à l'évolution actuelle du monde. Je suis toujours aussi exigeant, je demande aux musiciens de beaucoup répéter. J'arrive avec de moins en moins de choses écrites, en faisant confiance à l'expérience collective, à la présence des gens.

Encore une fois, vous insistez sur les actes, sur la vérité de la rencontre, comme avec Noir Désir ?

Oui, c'est une amitié socio-philosophique. Ils ont découvert ma musique, ils m'ont invité. Rien n'a été dit, mais tout a été fait. C'était en 1996, j'étais pratiquement inconnu, Bertrand Cantat et Serge Teyssot-Gay (chanteur et guitariste du groupe) m'ont entendu à l'Atmosphère, ils m'ont proposé de faire leur tournée d'automne avec le groupe.

Néanmoins, vous restez fidèle aux petites salles et évitez les clubs de jazz ?

C'est toujours le même problème en France, il faut avoir une étiquette ! Nous, on est improbables et ouverts, on a été les locomotives du mouvement alternatif des années 90, des bistrots à l'Atmosphère, à la Guinguette Pirate. Dans les soirées, on discute, on prend un verre et c'est pas cher, à la différence des clubs de jazz, où la bière est à 15 euros ! La musique est devenue un système élitiste. Ma musique est revendicatrice, libérée, libératrice…

Propos recueillis par Valérie Nivelon - http://www.rfimusique.com/