Akosh S. : Saxophones tenor & soprano, clarinette basse, flûtes, kalimba, bombarde, chant
Joe Doherty : Violon, flûte, saxophone alto & clarinette basse
Philippe Foch : Batterie et percussions
Bernard Malandain : Contrebasse
Mokhtar Choumane : Ney & Kaval (Flûtes turque et arabe)

INTERVIEW AKOSH S - 27 MAI 2002

© Guy Le Querrec / Magnum

M : Je travaille pour un site internet qui s'appelle Place Publique et qui s'occupe surtout d'initiatives citoyennes, enfin donc plus une orientation politique, cité, etc., etc. et on a envie de faire des choses culturelles et qui soient à mi-chemin entre ce qui nous plaisait et puis des gens qui ont un engagement, qui prennent des positions.

M : D'abord vous habitez où - parce que vous n'habitez pas à Paris, non ?

AS : Non, j'ai déménagé à Marseille.

M : Et pourquoi vous aviez choisi Paris au début, parce que j'ai lu votre parcours, etc. et l'histoire comme quoi vous avez débarqué un 14 juillet, mais pourquoi vous avez choisi Paris ? pour la musique, pour l'idée ? ...

AS : J'avais très peu d'informations et selon ce peu d'informations, Paris était..., ça devait correspondre à ce que je voulais faire. Paris en tant que capitale, d'un pays qui....qui devient bizarre.

M : oui...c'est à dire ? AS : on vit dans le même pays, oui ?

M : oui, oui, mais justement ça m'intéresse !!

AS : Ben euh je te dis, j'avais très peu d'infos mais ça, plus le fait que j'ai déjà pu venir deux ou trois fois difficilement - mais quand même - faisait que j'ai opté pour ça, mais sachant qu'il n'y avait pas énormément de choix non plus. C'est à dire que j'avais pas envie d'aller en Autriche (regard évocateur), j'avais pas envie d'aller en Allemagne, euh... en plus, je me souviens plus exactement mais... au niveau de l'émigration possible, c'est à dire, c'était assez bizarre, dans ces pays là,... Enfin la France, même si pour moi ce n'était plus vraiment le cas, mais, théoriquement, est déclarée quand même être une terre d'accueil. Tandis que chez les germaniques, c'était directement les camps pour éventuellement aller aux Etats-Unis, en Australie, etc., ce qui n'était pas vraiment dans mes envies. Je voulais rester en Europe, vivre quelque part où, tout en sachant que ce qu'on essaye de faire, va forcément être considéré..., ça va toujours gêner, où que ce soit, ...à l'écart du centre du merdier social, qu'il y ait suffisamment de couloirs alternatifs pour que ça puisse quand même exister. Et c'est ça, si on ne se réveille pas très très rapidement, qui risque de devenir carrément compromis, parce que là l'ambiance générale me ferait penser légèrement aux années 80, en Hongrie.

M : ouais, à ce point là ?

AS : par moment franchement !

M : et justement ouais, les deux trucs qu'on raconte aussi sur vous sur d'un côté ce que vous avez vécu en Hongrie avant de partir et de l'autre côté, sur ce que vous avez vécu à Paris en arrivant, c'est romancé, ça a été aussi dur que ce qui a été dit ? AS : je sais pas trop ce qui a été dit, après je fais pas vraiment confiance...

M : ...à ce qui se raconte ?

AS : ...à la presse parce que peut être, je sais pas pourquoi exactement, il y a toujours une espèce de dose de crème chantilly en trop, qui pfooouu, par moment...est franchement gênant. Donc puisque je sais pas, je sais pas ce qui a été dit (il remue sur sa chaise), exactement... Pourquoi ? Ils ont dit que c'était dur ? Oui, c'était dur. Bien sûr que c'était dur, évidemment que c'est dur de casser sa vie en deux, bien sûr. De se retrouver dans une situation, où on peut plus adhérer au fait qu'on soit opprimé en permanence, à cause de raisons en lesquelles on croit pas et dont on sait qu'elles sont uniquement faussement idéologiques, etc. C'est évident que c'est difficile de vivre ça, c'est évident que c'est difficile et en même temps, c'est..., c'est magnifique aussi, de pouvoir faire ça. Forcément qu'il y a un paradoxe dans ce truc là : parce que à la fois c'est un arrachement, à la fois c'est une cassure, ...et à la fois c'est une libération, et à la fois c'est une découverte, etc., etc. Et je crois que c'est à la fois un acte, ...à la fois, quelque chose de volontaire et involontaire, qui n'est pas loin d'être en soi quelque chose de philosophique. Quand on parle d'attachement à une terre, à sa culture et à la fois on aspire à la liberté, ou à la libération en tout les cas, de l'être et de sa petite vie .

M : oui et justement quand le mur est tombé, vous vous êtes posé la question, d'y (retourner)

AS : quand ça ?

M : quand il y a eu la libération, quand il y a eu la chute du communisme...

AS : quand je parle de libération, je parle de libération de ...

M : oui oui personnelle, oui oui de vous même, j'avais bien compris !!

AS : quand il y a eu, tu veux dire, le changement de règne ? parce qu'il n'y a pas eu de libération...

M : ouais !!

AS : Il y a tout simplement quelque chose d'encore plus horrible qui a débarqué, parce que d'un seul coup, en sachant que la plupart des gens ne croyaient pas mais faisaient quand même chier gravement, d'un seul coup, le pays a été vendu et le règne de l'argent a commencé, mais je ne connais pas beaucoup plus de choses aussi horribles que le règne de l'argent. Donc on peut ??? sur ce que j'en pense.

M : Vous continuez à suivre ce qui se passe politiquement en Hongrie, etc. ?

AS : Pas forcément de près, mais par exemple là comme j'y étais pendant un mois, et que je tombais pile à la période des élections, c'était assez intéressant.

M : l'extrême droite s'est pris un coup dans la gueule, je crois ?

AS : Ben disons que ce qui est important c'est de savoir à quel point ce que ici vous avez appris de ce qui se passait là bas, n'avaient pas grand chose à voir ensemble.

M : d'accord

AS : ....Comme d'habitude, c'est à dire que ce qu'on peut lire dans les médias, ou dans les journaux, sur n'importe quel autre pays, c'est forcément, d'une manière ou d'une autre, c'est détourné, contrôlé selon d'autres lois, ....Ces lois c'est forcément ça le sujet plutôt, plutôt que le micro-climat dans le pays, et qu'est ce qui se passe réellement dans le monde....Qui est ce qui tire les ficelles ? Donc oui oui qu'est ce qui s'est passé en Hongrie ? Il y a un mec de droite qui a un programme de gauche, et y a les socialo qui ont vendu le pays aux multi (nationales) et, c'est entre eux que ça se passait. Et la grosse différence entre..., au niveau..., à mon avis c'est historique, c'est à dire, c'est une période dans l'histoire, ...au niveau des électeurs entre la Hongrie et la France, c'est que là bas les gens ils y croient à fond la caisse, ils sont pas encore au stade où ils sont suffisamment désabusés, etc. comme en France, et donc il y a un taux très élevé (de participation)...Des amitiés de 10, 20 ou 30 ans qui se sont cassées pendant les élections, des trucs abominables, pour des conneries, et de l'autre côté ici on a une abstention peut être pas jamais vue, mais... très importante.

M : Par mon parcours, j'ai pas mal bossé sur les droits de l'homme, et on dit qu'il y a un vrai problème par rapport à la question tzigane en Hongrie ?

AS : Qui dit ça ? les médias en France ? on vient d'en parler c'est, c'est....c'est un problème tellement....Dans chaque pays, c'est complètement différent, si on ne connaît pas sur place, à fond le problème, juste en regardant la surface, on peut très facilement écrire, ébruiter ça, dans n'importe quel pays : " il y a un racisme envers les tziganes ". Moi, je crois pas que...., j'ai pas la possibilité d'entrevoir ça d'un coup parce que j'y suis rarement mais je connais certaines parties du problème, je connais mes rapports avec les tziganes que je connais, je connais mes rapports avec les tziganes que je connais pas. Je crois qu'il y a des problèmes, comment dire...culturels, c'est à dire tout simplement de connaissance des gens, qui font qu'il y a des choses qui sont laissées à l'abandon, et, qui sont très très mal gérées, au niveau déjà de la scolarisation des enfants tziganes, euh...euh....parce qu'en France, cette espèce de, encore une fois, de ...fausse solution qu'on a trouvé, c'est à dire, on leur permet sur certains emplacements de passer quelques semaines, avant de les virer.

M : le problème en France est pas tellement meilleur

AS : non mais exactement !! mais de la même manière qu'on dit pas, mais on sait plus ou moins, comment ça doit se passer en fonction de... l'Amérique par rapport aux noirs, mais non seulement..., enfin pas que par rapport aux noirs, mais tout simplement la loi du (sic) sale tronche ! .....C'est mille fois plus complexe que ça, je crois !! que de pouvoir dire... il y a... Il y a énormément de problèmes au niveau de ...problème juif, etc., des trucs, pfooouu, très très difficilement...

M : ah ouais, il y a encore à l'heure actuelle un problème juif ?

AS : oui mais on n'en parle pas

M : oui c'est clair

AS : alors on parle de problèmes comme si c'était un problème réellement, forcément il y a des problèmes partout, des minimes, des plus grands, etc., alors on parle de ça, parce que ça on peut parler de ça, parce que quelqu'un a décidé qu'on va parler de ça !! pour ne pas parler d'autre chose ! C'est tout simplement une espèce de cache-misère à la con, comme d'habitude ! Et pourquoi ? et qui sont ces gens là ? J'en sais rien, pas plus que toi, tout en t'intéressant peut être plus, enfin plus concrètement que moi aux droits de l'homme, t'as pas la possibilité de......Je suis pas parano mais...

M : OK ! on parlait justement tout à l'heure de la politique en France,

AS : c'est gênant que je te tutoies et que tu me vouvoie

M : ah je peux te tutoyer si tu veux !

AS : ah ouais c'est mieux à mon avis !

M : ok ! Tu parlais de la situation politique en France et justement tu as eu des engagements différents. Enfin je voulais parler à la fois des engagements que tu avais eus et, ... à la fois le Gisti, à la fois l'expérience de jouer en prison, et par rapport à ce qui vient de se passer, est-ce que ça va influer sur ce que tu veux faire ? est-ce qu'il y a des trucs tu te dis " bon il faut que je fasse quelque chose " ? ou " j'ai envie de jouer " ? ou est-ce que ça change ton implication ?

AS : Mais il y a pas de pas concret, c'est à dire, je ne crois absolument pas en cette espèce de fonctionnement qui est sur le sensationnel, " là il faut faire quelque chose ! ", non ! Il faut en permanence bosser et ouvrir ses yeux et ne pas laisser passer les horreurs, c'est tout ! Après c'est facile à dire, moi j'en parle pas tellement, par contre je sais que je fais. Alors, tu parles d'engagement, quel est l'engagement premier ? Mon premier engagement c'est de, ... c'est dejà pas faire..., (il remue sur sa chaise) c'est difficile de formuler ça. Mais je crois que faire de la musique, et faire de la musique d'une certaine manière, c'est déjà un engagement en soi. Pas faire comme cette classe politique qui est complètement détachée des habitants, à faire du coup par coup et faire une carrière sur des fausses promesses, et absolument pas mettre les choses en oeuvre, mon engagement c'est de faire autrement, c'est de pas trop parler mais d'être actif. Après, très concrètement, des histoires comme le Gisti, ou le Tibet, ou etc., c'est toujours un truc très délicat, dans le sens où il est très facile de déclarer que quelqu'un est engagé - bien sur qu'on est contre ceci, qu'on est contre cela et tout le machin - mais comment agir ? C'est tout à fait une autre histoire. Il est absolument certain que n'étant pas raciste, mais n'aimant pas tout le monde pour autant, euh... il serait presque évident d'intervenir dans n'importe quel concert, de Ras l' front, etc. Après il y a une qualité de rencontre et une qualité de travail, c'est à dire que ça ne me semble pas très intéressant de débarquer, par exemple, dans un concert de soutien et mon seul rôle à tenir c'est débarquer, monter sur scène, jouer et partir, parce que ce rapport même, de...comment dire, d'absence de qualité de rencontre, de réflexion ensemble, euh...cautionne justement un système qui fait naître le racisme, etc., etc. Donc ça devient très très difficile. Alors c'est forcément très très différent avec les gens du Gisti, parce que c'est un truc qui a commencé, où il y a eu beaucoup de travail, et ça a continué, etc. Parce que t'es en face des gens qui réfléchissent sur le monde, qui sont pas juste derrière une étiquette, encore une fois, qui est " ceci cela ", ttatatattatattatata. De la même manière que je n'ai pas à, ...bien sûr qu'il faut le faire, mais je n'ai pas à sortir, à descendre dans la rue pour faire une manif anti-Le Pen. J'ai tout à faire pour que des gens comme Le Pen, et les malheureux qui votent pour lui, n'existent pas - pas dans le sens " n'existent pas " physiquement - mais que ça ne puisse plus exister. De la même manière que pour cette histoire de Tibet, ben évidemment qu'on pourrait faire un truc anti-chinois primaire à la con, sauf qu'il me semble que quand on m'a demandé si je voulais bien participer à ce projet, bah avant tout ce qui est important c'est de savoir pourquoi ? Qu'est ce que le Tibet représente pour toi ? Et qu'est-ce que ce que ce peuple est en train de subir représente, qu'est ce que ça représente pour toi, etc.,etc. Donc tu es concrètement, même dans la musique créée pour essayer d'aider cette cause, ou essayer de réfléchir sur cette cause là, c'est trouver une forme qui raconte ça, au lieu d'en parler. Toujours la même histoire ! Ca peut être essayer de pas, soi disant, voir les problèmes et, soi disant, apporter des solutions, mais essayer de faire autrement, c'est à dire essayer de voir l'origine du problème, et travailler là dessus et tuer l'origine,...pas tuer l'origine du problème, sans problème il n'y a pas de vie, sans accident il n'y a pas de vie, arrêter de prétendre que...

M : pas de coup de baguette magique, quoi !

M : J'ai lu que Kebelen, Lenne, et puis un troisième à venir, c'était un triptyque enfin c'était une trilogie ?

AS : c'est devenu !

M : ouais ? c'est à dire ? pourquoi ?

AS : Bah c'était pas prévu comme ça, c'était plutôt que tout ceci est lié à tout ce qu'on vient de dire, c'est à dire à une manière.....de vivre dans ce monde là ! C'est à dire, moi,...moi ça me gave tellement ce coup par coup, bosser tout le temps sur le sensationnel, concrètement, dans ce business-là, de prévoir le studio, prévoir la pochette, prévoir la sortie, bien faire briller et sortir le truc (il fait en même temps un geste de la main du style " ainsi font font font "). C'est pas sortir des disques que j'aime, c'est travailler que j'aime ! Et sur quoi travailler enfin..., tout le temps remettre en cause pourquoi on fait ce bordel, et là j'ai réussi à discuter avec Daniel Richard de ça et on a trouvé une solution, qui faisait que eux, au niveau administratif, etc. il fallait qu'on trouve, une manière de vouloir faire. ...C'est à dire, travailler tout simplement, travailler, mais que, eux, administrativement, ça puisse fonctionner aussi, c'est pour le travail au niveau temps, blé, etc. tout le machin, forcément il faut que je rende quelque chose parce que le propos c'est quand même de faire des trucs ensemble. Donc, j'ai commencé à travailler, j'avais énormément de matière, et beaucoup de choses à dire, sûrement, sinon on arrête. J'ai commencé à sortir, à mixer des choses, à réfléchir sur des combinaisons, etc., et petit à petit ça a fait naître d'abord Kebelen, celui là maintenant, et le troisième, je l'ai fini hier, euh...avant-hier, voilà !

M : d'accord ! et il sort quand ?

AS : Octobre ou novembre. Mais c'était aussi que toute cette musique qui a été travaillée, et enregistrée, ....de la voir dans l'ensemble, et quelque part m'en débarrasser aussi parce que j'ai envie de passer à autre chose. Vu qu'il y a ces disques là qui sortent, c'est avec mon ancienne formation, je joue déjà avec d'autres gens, c'est toujours un peu difficile ce décalage, entre l'actualité et...

M : parce que tu vas, tu comptes vraiment changer de formation ?

AS : C'est fait. C'est à dire que, pour être clair, c'était pas une cassure et un changement de formation, mais c'était plutôt agrandir la famille, et après voir dans quel sens les choses évoluent. Tout en sachant qu'avec les gens qui sont sur le disque on est loin d'avoir tout fait, mais en ce moment je cultive (sic) plus avec d'autres gens.

M : Tu bosses plus par phases comme ça ?

AS : Non, je prévois pas les choses. Je me méfie du bétonnage des choses. C'est pareil, c'est un peu ce que j'essaye de dire, c'est pas planifier la vie, parce qu'elle n'est pas planifiable. Elle est fluide avec ses dangers etc., mais...

M : J'ai vu aussi que t'avais sorti un disque, je sais pas comment ça se prononce, " kaloch " ?

AS : Kaloz, ouais ? M : J'ai lu que c'était un label que tu montais ?

AS : Non, non, non, je monte rien du tout ! J'ai tout simplement..., tout en essayant de trouver des solutions, on a discuté ensemble... Est ce qu'il est possible que les choses soient, encore une fois, un peu plus fluides que juste les disques Universal machin, et ils ont accepté le fait, ... enfin... d'essayer de sortir un disque qui coûte pas cher - donc c'est pas cher pour les gens - qui sera pas distribué, qui est plus une histoire d'archivage, et que les gens peuvent acheter pour pas cher en concert, et qui est un travail... C'est juste des moments de concert, c'est pas mixable parce que c'est directement sortie console sur deux pistes, c'est juste monté comme ça. C'est toujours rechercher autre chose aussi, une autre manière de travailler, pas s'engouffrer dans le truc, putain ! qui est : " t'es chez Universal, t'as tes disques qui sortent chez eux et basta " ! Réfléchir comment on peut faire des trucs, parce que quand même,...même si, moi c'est pas Universal que j'ai signé, moi j'ai signé avec Daniel Richard, ce qui est une chose importante et j'arrête pas de le dire,

M : oui, ça allait de soi !

AS : On se pose quand même vraiment des questions par rapport à Universal, Messier, etc., etc. Donc c'est une manière aussi de ne pas s'engouffrer dans les conneries qui te regardent pas, " uniquement tu peux être victime, uniquement tu subis les conséquences ", tu vois ? C'est une manière de dire aussi, c'est pas Universal qui va diriger le monde, ça c'est mon espoir !!

M : D'accord ! et il y en aura d'autres ?

AS : oui, il y en aura d'autres, ça s'appellera " Kaloz II " et ça veut dire " pirate ", c'est de l'auto-piratage total, c'est une idée rigolote aussi, ben oui voila !

M : et tu disais... enfin, tu as employé le mot " archivage ", c'est important pour toi d'avoir des traces ?

AS : Disons que c'est pas fait pour gagner de l'argent, c'est fait pour que ça existe. C'est à dire qu'on les vend, tandis que ce serait mieux de l'offrir, mais c'est pas possible non plus ! Mais je veux tout simplement que ça rembourse les coûts, tu vois ? mais basta ! Tu vois, c'est pareil, c'est une petite réflexion sur " tiens, comment on pourrait faire " ? Est-ce que vraiment c'est un système ???? avec eux qu'on peut faire et on peut faire autrement aussi ! C'est curieux parce que d'esprit je suis, ...je serai beaucoup plus proche des labels indépendants, et comment ça fonctionne, etc. En même temps je suis foncièrement opposé à couper les choses en deux - d'un côté comme eux ils le font - mais on essaye de faire, justement avec Daniel c'est possible, on essaye de faire pour que, en licence, eux ils sortent des choses avec des petits labels, que les choses circulent, que ce ne soit pas " je suis gros je m'assoie et je t'ai tué ", tu vois ?, comme on l'a appris dans les bouquins d'histoire sur le capitalisme. Essayer de travailler autrement.

M : et c'est facile ou c'est la guerre ?

AS : Non c'est pas facile mais ...on bosse, tu vois, on réfléchit et tout le monde réfléchit. Tant qu'on est en face ou ensemble avec des gens qui réfléchissent, qui sont sensibilisés par ces trucs-là, qui réfléchissent sur ces trucs-là, bah, on fera bouger des choses forcément, tu vois ? C'est, de la même manière, que sortir des musiques, que moi je produis, chez Universal en fait, ...théoriquement, ....en gros chez Universal, c'est carrément insensé aussi ! Tu vois ! Donc on est ensemble avec des gens qui se battent pour à peu près les mêmes choses et tant mieux parce qu'il se passe quelque chose, on se retrouve pas dans un truc " voila c'est comme ça, terminé "

M : Je lisais aussi que t'avais fait des recherches musicales, quand t'allais je sais pas où ? en Transylvanie ? c'était vrai ? c'est systématique ? c'est ....

AS : Moi je suis pas très recherche, c'est quoi exactement " recherche musicale " ?

M : justement c'était un peu la question que j'avais !! mais si ça correspond à rien on passe à la suivante !!

AS : Non je crois pas qu'il s'agisse de recherche, dans le sens scientifique du terme. Il s'agit, tout simplement, de,...sans arrêt, retourner à la source des musiques, là où elles naissent. Je parle de musique paysanne enfin, cette forme de vie qui est quand même la dernière qui soit encore liée étroitement à la terre sur laquelle nous vivons théoriquement tous,.... n'est ce pas ?? Donc tant que ça existe, à ma manière, et avec des amis, et eux, à leur manière, on se bat pour que ça disparaisse pas aussi vite comme prévu de la surface. Donc chaque fois que je peux je vais en Transylvanie, mais c'est pas que la Transylvanie. Si je peux, si j'ai le temps et l'argent, si je peux voyager, bien sûr que j'irai ailleurs aussi où ça m'intéresse, où ça existe encore comme en Afrique, dans certaines régions de l'Asie, etc. Je crois pas que j'aille chercher la musique folklorique américaine, par exemple, ce serait autre chose je crois. Par contre ça m'intéresserait de voir ce que les indiens, le peu qu'on a laissés survivre, est-ce qu'il font encore quelque chose et qu'est ce que c'est ?

M : c'est marrant parce que justement, je sais plus sur quel album, il y a un de tes morceaux qui m'a fait un peu penser à des chants sioux ! à une époque j'en écoutais...

AS : Non, je crois pas que ce soit..., enfin c'est une manière de parler, " marrant " mais c'est sûrement pas le fruit du hasard ! Il y a forcément, à partir du moment où on commence à aller vers les origines des choses, que ce soient les origines de la musique hongroise, et après tu vas à l'origine de l'origine de l'origine, forcément tu te retrouves à un endroit - pas géographique mais un endroit, on va dire, mythologico-historique - qui, en même temps, côtoie, comment la terre et les êtres sont foutus physiquement au niveau de ses molécules etc. Forcément que tu arrives à des endroits où tu côtoies des énergies, on va dire, originelles, qui sont...qui sont..., auxquelles il est dangereux d'ouvrir la porte, pour quelqu'un qui serait pas averti, tu vois ? De la même manière que quelqu'un, un peu perdu, qui est en quête d'une forme de réponse ou de mysticisme de la vie, peut tomber entre les mains de gens malveillants et être manipulé. C'est dangereux ! Il s'agit de forces énormes ! Donc si tu sens des choses dans une musique c'est sûrement pas par hasard.

M : Oui justement t'as dit dans une interview - enfin tu me diras si c'était vrai ou pas - la personne t'as demandé si t'étais croyant et t'as dit " forcément je le suis, et je pense que même ceux qui disent le contraire le sont aussi ", enfin ça me fait penser à ce que tu viens de me dire...

AS : oui, après il est difficile....on est en train de bousiller des notions, on est en train de bousiller des mots, de ne plus les mettre, parce que... " Croyant " ? ou " avoir la foi " ?, c'est déjà autre chose. De la même manière que c'est pas la même chose, ...enfin, par exemple, " nation " et " patrie ". Tu peux plus dire " patrie " parce que t'es tout de suite traité de nationaliste ! C'est du délire quand même, dans plusieurs sens : c'est du délire dans le sens " attends ... " et dans l'autre sens où on perd des choses. Bien sur que j'ai la foi, mais cette foi c'est quoi ? C'est simplement un amour profond pour ce bourbier monstre ! Mais il est impossible d'en parler, je peux pas parler de l'amour, ça tuerait l'amour et l'amour est plus important que les mots qu'on mettrait dessus !

M : Les titres que tu donnes à tes morceaux, manifestement il y a un vrai travail là-dessus, je me demandais justement comment ça venait ? est-ce que c'étaient des mots qui te plaisaient ? ou est-ce que c'étaient des images ou est-ce que ça correspond à ce que tu veux exprimer ?

AS : De la même manière que la musique ne naît pas de la musique, mais elle est une ....expression....de l'expérience humaine, ...qui forcément passe à travers le filtre de ta petite personne. Mais, ...ces mots là, bon il est important qu'ils sonnent, c'est à dire que je vais mettre un mot hongrois. Le fait de les mettre en hongrois, c'est forcément engagé, enfin, on va dire " politique " - ça commence à faire chier aussi ce mot - parce que je suis hongrois et basta ! Tu vois ? C'est " oui oui mais ça existe, excusez-nous on est peu, mais on existe ", et il y en a d'autres qui sont plus petits, et ce serait bien qu'ils puissent continuer à exister, même image que tout à l'heure, " je suis gros, et je m'assoie et t'es mort ". Donc je peux pas mettre un mot où il y a des accents, des j, y, et des machins partout, parce que ça va être vraiment trop difficile, t'es tenu par des choses. Donc j'essaye quand même de trouver des mots qui sonnent, qui sont prononçables, c'est pas toujours évident, et à la fois qui " ouvrent ". De la même manière que la musique est ouverte. Ce serait dommage de plaquer un mot qui enferme la musique. De la même manière que " Lenne " c'est un mot ouvert, " Kebelen " c'est un mot ouvert, et tous les autres titres, c'est chaque fois un mot ouvert. Jusque là j'ai toujours essayé de trouver quand même une solution pour que ce soit traduit, à peu près - la dernière fois on a scanné le dictionnaire - comme ça, si quelqu'un veut le faire, veut voyager, dans le sens chercher un peu ce que ça peut vouloir dire... Donc là, la-dessus (c'est à dire sur Lenne) je l'ai pas fait, parce que j'en ai eu marre. Enfin je crois pas être tombé dans l'explicatif, en l'ayant fait, mais j'en ai eu un peu marre. Voilà il y a les titres, écoute la musique et ça te diras ce que ça te dit ! Après je peux te le traduire, hein ! " Lenne " je t'ai dit ce que ça voulait dire ?

M : Non - ah oui " il, elle existe " ?

AS : non non, Lenne c'est " cela ", ou, " il pourrait être "

M : ah d'accord !

AS : Il y a quatre titres :
Adatott, c'est " a été donné "
Pilanatt, c'est " instant "
Nélkül, c'est " sans " - " without " en anglais, " pas avec "
Felfele, c'est " vers le haut ", un truc comme ça !

Là dedans quelqu'un peut lire des messages purement politiques, il y en a sûrement ... mais cachés !

M : D'accord ! comprend qui peut ! ...et la phrase qui est marquée dedans ?

AS : oh la la comment traduire cette phrase ? " Talàn jó mégis az ember ", c'est difficile à traduire parce que l'ordre des mots est important. Mais les mots qui composent la phrase c'est : " peut être, qu'il est bon, quand même, l'homme ", en gros. Mais ça sonne pas très français.

M : oui mais ça donne une idée

AS : Mais c'est " peut être " et " quand même " et " bon " et " homme " donc ça donne un petit sel ( ?) de réflexion quand même, peut être !

M : Pour toi un concert réussi c'est quoi ? parce que des fois tu dis " celui là il était raté ", " celui là il était bien "...

AS : Je suis rarement content en sortant d'un concert, parce que j'estime qu'on peut toujours faire mieux. On peut toujours faire mieux, si on est à la fois acteur et spectateur dans une affaire pareille. J'ai pas de définition, après.... [On est interrompu par quelqu'un qui frappe à la porte.]

AS : Il est quelle heure là ?

M : il est moins cinq, on va se magner !!

AS : ooouuchhh !!!

M : oui je crois que j'ai quasiment fini ! oui tu disais, sur le concert, tu disais quoi ? oui, que t'étais rarement content, et ? ...et tu sais plus ?

AS : non c'est pas ça, c'est difficile à formuler, ça fait partie pour moi, c'est pas une critique, mais pour moi, des questions à la con, dans le sens où s'il y avait une réponse, ça aurait déjà été donné. Je crois que ça se joue à énormément de choses, ça joue déjà sur comment les choses ont circulé entre les musiciens, après..., parce que ça c'est la partie où ils sont acteurs. Après, il y a la partie où ils sont spectateurs, c'est comment tout ça, ça, ...qu'est-ce que ça a réveillé avec les gens. Et là où les gens ils sont acteurs, c'est comment ils réactionnent (sic), ce qui émane de eux, soutient les choses qui sont en train de naître, parce qu'il ne s'agit pas d'imposer quelque chose, " tenez, écoutez ce qu'on fait ", mais plutôt d'essayer de voir réellement ce qui peut se passer, comment les choses peuvent circuler entre les gens dans différents rôles. Après les lieux même peuvent imposer, tu vois de la même manière, sans aller dire des conneries de trop, mais la position de la lune, etc., etc., etc. Mais je crois que nous sommes tous, tous, des êtres émanant et portant des énergies différentes, contradictoires, etc. en permanence. C'est toutes ces choses là, toutes ces vibrations là qui peuvent faire (soupir) que ça s'est bien passé ! Mais j'ai plus envie de parler de ça que d'avoir la prétention de dire " Putain ! qu'est-ce qu'on a bien joué !! ", ça me semble déplacé ça !

M : C'est mieux justement ! c'est plus intéressant ! Tu vas encore avoir des concert en province et en Hongrie, tu es perçu comment en Hongrie ?

AS : euh bien !

M : euh oui, mais ça doit être bizarre de rejouer dans son pays ?

AS : oui oui, après c'est curieux de voir la famille musicale de laquelle je sors, où ils en sont, eux, et où j'en suis, moi. Je crois que personne ne joue comme ça, personne n'a libéré les choses à ce point là. Après comment le public il reçoit ça - le " public ", je hais ce mot ! - il y a sûrement des gens qui s'y retrouvent énormément, et il y en a peut être d'autres qui sont..., qui peuvent être choqués, enfin, tu vois, qui se posent des questions. Moi j'estime qu'il n'y a pas de questions à se poser, parce que quand on commence à réfléchir sur une musique qu'on est en train d'écouter, c'est qu'elle est morte, enfin on l'a tuée. Si elle fait circuler des choses, tant mieux. Après la réaction elle peut être immédiate, comme ça peut faire son petit chemin à l'intérieur et ressortir d'une manière ou d'une autre ! Ca c'est quelque chose qui est incontrôlable par moi, évidemment ! Je sais pas, je peux pas faire autre chose que ce en quoi j'ai foi, même si on me dit " t'as été trop loin " , " ben oui, ben j'y suis ! a plus ! " !

M : Ok !!.... Bon bah je vais peut être te laisser prendre ton taxi !

AS : ben oui parce que là...

M : oui, je crois que ça urge aussi !

AS : oui je crois que ça chie carrément !! je dois être dans le XXème dans trois minutes ! Ca te gène pas si je file parce que là ....

M : non vas-y, je t'en prie ! vas-y ! Au revoir !

AS : à bientôt

M : à bientôt

 

propos recueillis par Marie-Sophie Peyre http://www.place-publique.fr/accueil.html

Un grand merci a Marie-Sophie Peyre