Akosh S., Hongrois rêvé
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FESTIVAL SONS D'HIVER. les saxophoniste généreux révolutionne le
jazz. Indispensable
Ce
quil y a de formidable avec « la musique de jazz » comme disait Georges
Simenon à lépoque où il formait avec Joséphine Baker un couple proto-zazou
en vogue dans les nightclubs, cest quelle exclut d'autorité cette
notion de blasement inhérente à tout autre genre, à commencer par le rock et
la variété. Le jazz peut en effet tourner en rond pendant des années, multiplier
les opérations de fusion navrante ou les liftings revival frisquet inéluctablement,
sorti don ne sait trop où, finit par débarquer un tourbillon totalement
incontrolable qui, faisant fi de tout sentiment de respectabilité, sen
en vient bousiller avec une hargne, une impudeur communicatives, le gentil
jouet.
Lagitateur attendu.
Ainsi tel banlieusard adolescent, nourri jusqualors de Dutch Swing Collège Band ( tube: Dominique, nique, nique, scie apostolique de soeur Sourire, la nonne chantante) et de Sidney Bechet (période : les Oignons ), se souviendra-t-il toute sa vie de ce 13 novembre 1966 où, calé au balcon de la salle Pleyel, il fut soumis malgré lui au traitement sismothérapeutique administré par Albert Ayler), lorsque celui-ci, flanqué de ses quatre complices ( Don Ayler, Michel Sampson, WIlliam Folwell et Beaver Harris) prit possession dune scène vite recouverte de projectiles divers (menue monnaie en majorité), tandis qu'aux quatre coins de la digne salle, éclataient de violentes échauffourées. De même tel auto-stoppeur service échoué dans une pâture embourbée de Moers. Allemagne, fanatique d'Art Blakey et de ses fiers hard-troppers, abandonnera-t-il sut le champ toute véléité «kerouacienne» afin de se joindre à la secte Arkestra de Sun Ra tendue vers un seul but, en file indienne et doigt pointé: Spece Is The Place! Et l'on pourrait citer encore bien d'autres exemples de ce type, telle cette nuit de juillet qui vit le percussionniste Milford Graves se jouer des étoiles comme d'un glockenspiel dans un jardin public de Pise, ou cette soirée aoûtienne pluvieuse durant laquelle le Brotherhood of Breath du Sud-Africain Chris McGregor sattacha à convertir une partie de la Suisse alémanique (WiIIisau en l'occurrence ) au culte du riff anarchique. |
Bien que Ion n'en mesure pas forcément toute la portée sur le moment, ce style de traumatisme ne soublie guère. A la longue même) expérience oblige, on apprend peu à peu à le pressentir, à l' appréhender. Prenons Elettér ( en Français: «espace de vie» ) troisième CD épidermique commercialisé chez Barclay par : Akosh Szelevenyi, polysaxophoniste hongrois ( il est né à Debrecen le 19 février 1966 ) venu en France sous : le statut de SDF ( «j'ai vécu plusieurs années sans papiers est bon pour la tête, une expérience que je re-commande à tout le monde» ), et qui se revendique aujourdhui non pas comme un musicien professionnel mais bien plutôt comme un « survivant professionnel faisant de la musique ». La nuance est de taille, mais explique lexceptionnelle qualité de son oeuvre enregistrer. Car le voici enfin cet agitateur que la World Jazz Compagny attendait, subissant sans broncher les choruses nostalgique de jeunes prodiges afro-américains propret, raisonnables, aseptisés, satisfait jusquà la suffisance davoir perfectionné leur gamme à la Juilliard ou à Berklee. |
Marginalisation et générosité. Akosh na pas échappé non plus à un enseignement académique, mais à la différences de ses confrères US il a manifesté le besoin de désapprendre tout ce que sa formation classique lui avait apporté. Conscient du fait que la musique authentique ne sort pas forcement dinstrument (« jai effectué un tas de boulots : alimentaires, bâtiment, imprimerie et réalisé quil y a parfois plus de musique dans ce type dactivité que lorsquon souffle dans un cuivre »), il a su également décoder, dès la première écoute, les chefs-doeuvre du jazz libertaire, décelant par exemple dans The Majic Of Ju-Ju dArchie Shepp, non pas un sujet de thèse musicologique mais «une référence à tout ce que je retenais à lintérieur de moi-même, à ce merdier qui menvironnait ». Comme Shepp (et bien dautres) à lépoque, Akosh est aujourdhui (« très ») en colère. Et cette colère on ne peut plus légitime, il nà dautre envie que de la partager. Doù le circuit dit «des bistrots » quil a développé (mais il se produit également dans des prisons et dans des quartiers « défavorisés », afin de souligner son refus du fonctionnement classique (et des tarifs) des clubs et surtout son besoin daller chercher les auditeurs où ils sont. Derrière le zinc si nécessaire, ou dans larrière-salle des troquets. Là où les habitués, peu familiers des étiquettes (sauf celles des boutanches, bien sûr), nont jamais entendu de free-jazz et réagissent par conséquent par un «cest donc ca !». réjouissant . Ce qui explique à la fois sa marginalisation sur la scène du jazz parisien (entretenu par une hostilité inexplicable manifesté à son égard par une bonne partie de la critique spécialisée) et cette générosité qui lanime en priorité. Sans celle-ci, limpact Elettér ne serait certainement pas ce quil est. Car cette union de la « new thing » modèle ESP et du folklore hongrois basique (« les deux musiques les plus pures à mon oreille ») débouche au bout du compte sur lun de ces disques rares comme lon nen entend pas cinq en dix années daudition intensive. Au delà du séisme quil provoque avec ses accents ayleriens parsemés de sonorités et autres rythmes ethniques, il traduit une intense sensation de vécu, un besoin viscéral de liberté. Lexpression directe dune authentique générosité. A travers sa musique Akosh Szelevenyi soffre en entier. Sans calcul, sans chipoter. Chez lui le marchandage nest pas de mise, au contraire de chez un certain nombre de ses collègues qui, bien plus que musicien, se révèlent en fin de compte philistins ou épiciers. Akosh est généreux, rigoureux, habité. Et lon serait prêt à parier quil ne mesure pas pleinement toute lalchimie de sa musique, lui qui a trouvé la bonne formule par honnêteté, mais qui est paradoxalement trop honnête pour lexploité. Attention lhistoire du jazz a montré quil existait tout au plus un musicien de cette envergure par génération. Il serait par conséquent dommage que ce soit la prochaine qui le reconnaisse. Quand il nen pourra plus davoir trop donné. |
Serge Loupien, Libération du vendredi
12 février 1999