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On ne parle plus beaucoup d'Albert Ayler. On a tort. On ne sait plus
par exemple que cet immense souffleur a fait son service militaire dans
une base américaine d'Orléans et qu'il a pu paradoxalement y trouver
matière à sonorités de toutes sortes.
Orléans justement est le titre de cet album collectif enregistré
en hommage au grand Albert et paru sur le petit mais très actif label
Rectangle, passé pour l'occasion du vinyle au CD. Le concept du disque
est simple : réunir une poignée de musiciens français, saxophonistes
et contrebassistes, qui, tous, ont été frôlés par l'aile de la free-music,
pour affirmer la persévérance des fantômes d'Albert Ayler, trente ans
après son incompréhensible noyade dans la baie d'Hudson. Orléans, parce
qu'il s'agit bien de marquer d'une pierre blanche la diaspora française
d'un free venu d'Amérique.
Au générique, plusieurs générations d'instrumentistes qui forment
entre eux quatre duos. Par ordre d'apparition, Daunik Lazro et Claude
Tchamitchian, Akosh Szelevenyi et Didier Levallet, Guillaume Orti et
Eric Chalan, Maurice Merle et Jean Bolcato. Parmi les morceaux qui figurent
dans l'album, une seule reprise d'Albert Ayler, In hearts only,
magnifiée par la sonorité de Lazro au baryton, le plus lyrique et le
plus sous-estimé des souffleurs français (ah, s'il était américain et
s'appelait Charles Gayle ou David S. Ware, vous verriez !), deux improvisations
splendides et rageusement épiques où l'on peut entendre successivement
les deux benjamins, Akosh et Orti, l'un furieux, l'autre sinueux, et,
pour finir, Les Trois Cloches, la chanson d'Edith Piaf et des
Compagnons De La Chanson recomposée au feu du free par les deux compères
lyonnais, Merle et Bolcato.
Orléans n'a rien d'un "à la manière de", c'est juste un
disque qui fait entendre la résonance d'un son, d'une flamme, d'une
figure libre. Un disque suffisamment désinvolte et lyrique pour retracer
une voix (une voie ?) sans tomber dans les pièges de l'arrière-garde,
sans rien céder sur le désir d'une musique toujours à venir. Albert
Ayler est vivant. A Orléans ou ailleurs...
Thierry Jousse 16 Février 2000,
Les
Inrocks.com
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