Critique de l'album

 

    Quatre ans après le dernier album de Diabologum, Arnaud Michniak nous revient avec son nouveau projet : Programme. Dès le premier titre ("Je ne tiens pas particulièrement à vous accrocher avec du style mais j'y suis obligé sans quoi il n'y aurait sans doute pas lieu d'être commercialisé")

Mon cerveau dans ma bouche provoque une réaction bizarre, mélange de gène et d'interrogation. Le propos est souvent radical, très radical "Tous les disques sont de la merde" ("Demain") et semble vouloir faire réfléchir
sur la musique comme moyen d'expression. D'expression et de prise de position sur l'aspect commercial de l'art.

Certaines paroles répétées en boucle ("qui est le brouillon du jour qui est le brouillon de la nuit", "je sais où je vais") finissent par créer une atmosphère pour le moins troublante et envoutante. La musique est faite de samples, de programmations mais aussi de guitares parfois saturées.

Arnaud Michniak est plus un diseur qu'un chanteur et le texte ainsi interprété avec une certaine froideur a un impact direct sur le destinataire et ne peut laisser indifférent (dans les deux sens). Tel un "Boomerang", l'album nous revient sans arrêt et on le prend en plein visage. Autant de noirceur doit bien cacher quelque chose, une recherche d'un idéalisme fait d'un conscience brute de la réalité ? Quoi qu'il en soit, voilà 36 minutes de musique sans concession. "A découvrir absolument".
(FG)


Il y a le programme commun d’une époque qui joue à se faire peur pour mieux tromper son ennui : c’est l’apocalypse pour de rire, le foutoir informatique qui n’a pas lieu.

Et puis, il y a le singulier Programme d’Arnaud Michniak - ex-Diabologum - et de Damien Bétous. Soit, dans le réseau actuel de la production française, une vraie bonne erreur système, un bogue poétique. Dès les premiers feux de Demain, on comprend que Mon Cerveau dans ma bouche sera tout à la fois baril de poudre, mèche et allumette, que rien n’y subsistera des mots tels qu’on les aseptise, des sons tels qu’on les lisse.

Comment décrire l’éclat de cette incendiaire entreprise à risque, l’intelligence supérieure de ces déboîtements et retraitements musicaux, de ces textes scandés qui arrachent la vie par poignées, de cette voix qui ne lâche rien ? Paresseusement, on pourrait évoquer du Diabologum brûlé par tous les bouts - plus sec, plus seul encore - ou bien invoquer quelques esprits frappeurs - PIL ou Suicide pour la déconstruction, Tricky pour la rage à froid, Stina Nordenstam pour la grâce insoumise.

Grand trafic de machines, d’instruments et d’objets sonores, ce disque travaille à la création d’un langage plutôt qu’à un simple culte des outils, au dévoilement d’un esprit critique plutôt qu’à un exhibitionnisme maladif. Des pièces comme La Salle de jeux ou Je sais où je vais reposent sur des licences musicales, verbales et politiques d’une si sauvage liberté qu’elles renvoient la marée des médiocres à ses tristes ressassements.

Tout y est à la fois disqualifié et défiguré : la chanson, privée du confort des habitudes, le hip-hop, dépouillé de ses jeux de rôle et de rimes, les musiques expérimentales, expulsées de leurs places fortes. A ceux qui voudront l’écouter, Mon Cerveau dans ma bouche ne réclamera pas d’autre complicité que celle qui unit les plus justes solitudes. Et s’il remplit la fonction de détrompeur, c’est sans hâblerie ni principes, pour inventer simplement cent nouvelles façons de dire “Je suis moi, je suis là, et je bouge encore“. 

Richard Robert - Janvier 2000 - www.lesinrocks.com