J’avais envie d’évoquer avec vous L’Inconnu
de Tod Browning, que vous avez magnifiquement mis en musique lors de
votre carte blanche à la Cité de la Musique. Comment avez-vous travaillé
? Vous avez vu le film x fois ?
Le point de départ, comme souvent, c’est une commande, une proposition.
C’est un film que je ne connaissais pas et le Musée d’Orsay organisait
une rétrospective Tod Browning. La Cinémathèque présentait une nouvelle
copie de L’Inconnu qui est un film culte. Ils m’ont donc proposé de
faire une musique en live, en temps réel, sur le film. Donc, je reçois
une cassette du film, et je tombe par terre puisque c’est un chef d’œuvre
absolu du cinéma muet. Je pense que c’est ce que j’ai vu de plus fort…Ca
va au-delà de Freaks. A plein d’égards c’est un film extrême qui va
au bout des ressources du muet du point de vue de la lumière, du jeu
d’acteur, de l’intensité du montage… Je prends ça comme une sorte de
cadeau, et de défi aussi.
Attention Chef D’œuvre, donc on ne fait pas n’importe quoi. C’est un
film qui se passe totalement de musique. De plus, handicap pour moi,
je n’ai pas de mémoire visuelle…J’étais obligé de voir énormément le
film, de l’assimiler, de l’apprendre par cœur. La première création
a eu lieu à Orsay et j’étais tout seul. Ce que j’ai voulu faire, c’est
ne pas être dans l’improvisation totale car je trouve que c’est souvent
limité…souvent ça pêche car il y a une sorte de mécanique un peu obligée
qui s’installe : quand le film speede, la musique speede…Je ne voulais
pas non plus tomber dans une musique totalement enregistrée. Je voulais
que ce soit réellement joué en live et d’ailleurs je comptais beaucoup
sur l’impact de la projection elle-même. Le point de départ a été d’enregistrer
le son du projecteur 35 mm d’Orsay, et de définir le point 0 musical
à partir de ce son, que j’ai ralenti et qui est devenu une espèce de
gimique, un élément de suspense.
A Orsay, tout s’est super bien passé…C’était bourré à bloc…Tous les
fans de Tod Browning voulaient voir cette nouvelle copie. C’étaient
vraiment des cinéphiles qui connaissaient eux aussi le film par cœur…eux,
la musique, ils en ont rien à foutre. J’ai été en observation pendant
une ou deux minutes et puis, j’ai senti que tout à coup, c’est parti…
On a envisagé de fixer cette musique mais j’ai eu un problème technique
donc quand la Cité de la Musique m’a proposé cette carte blanche, je
me suis dit que j’aimerais beaucoup refaire quelque chose sur L’Inconnu,
sachant que je devrais repartir de zéro.
J’avais une trace d’Orsay…avec DOCTOR L, on est reparti de ça…Il s’en
est imprégné et il a lui-même choisi les sons. On a très peu répété
et il s’est mis en position de contrepoint, c’est à dire qu’à partir
d’éléments préparés, il envoie des choses, et là, ça devient génial…C’était
très différent à Lille et à Paris. Un grand plaisir…
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