Rodolphe Burger se place sur orbite

Le chanteur de Kat Onoma renouvelle une aventure solo mais pas solitaire. Avec DJ Doctor L., il réalise un album d'une belle densité, Météor Show. Rencontre avec un esthète du rock, voix de velours et guitare qui font la part belle à une créativité sans faille, avant son concert demain soir au Batclan.

Rodolphe Burger déploie sa longue silhouette, va commander un énième café, se glisse tant bien que mal derrière la table de ce petit bistrot parisien, non loin de chez lui, au bord du canal de l'Ourq. Météor Show, objet rare et précieux, disque OVNI plus expérimental que conceptuel, s'écoute en boucle. En congé de Kat Onoma, Rodolphe Burger s'est lancé à notes perdues dans une deuxième aventure en solo, comme on se lance un défi. " Kat Onoma a sa propre histoire avec ses strates, ses étapes. Le travail en solo des uns et des autres entretient l'idée du collectif. Nous ne sommes pas un groupe rock au sens traditionnel du terme. Nous nous situons entre la formation de jazz et de rock. " Ce qui laisse libre cours aux improvisations, aux tentations musicales autres, aux expériences dont raffole ce dandy du rock.

Après des collaborations ponctuelles avec Françoise Hardy, Alain Bashung, Fred Poulet, il rencontre DJ Doctor L. (du groupe Assassin). Premières esquisses d'un travail commun, ils produisent Egal Zéro, un single pour protester contre la venue du FN à Strasbourg. Puis chacun retrouve les siens. Avant de réaliser cet album, aux sonorités étranges, hypnotiques, où la voix de Burger, sublime, forcément sublime, plane sans l'ombre d'un doute. " J'avais envie de dégager un son nouveau. L'impression de frayer un territoire comportait un aspect très excitant. Le résultat de notre travail est un agencement de plusieurs sessions, fruit de rencontres musicales avec un personnage qui est plus du côté des machines. Chaque piste a été traitée de façon drastique mais nous n'avons pas utilisé de sampling. Je voulais que tout cela sonne minimaliste high-tech. · partir de ces tentatives combinatoires qui ouvrent la porte sur l'infiniment grand, les deux musiciens s'autorisent des filtrages, des coupages, traquent le superflu, le redondant. " Je ne pouvais préfigurer du résultat. J'ai vécu ce disque comme une aventure, une mise en jeu de la musique. Ce processus est allé jusqu'au mixage, ce qui signifiait que, jusqu'au dernier instant, tout pouvait basculer dans un autre sens. "

Chaque morceau de l'album a sa propre histoire même si, ici, Burger ne s'est pas contenté d'un collage. " Je parlerais d'accumulation de matière brute. J'ai arrêté mon choix sur treize titres alors que j'avais travaillé trente morceaux. C'est un choix sonore volontaire. " Son travail s'apparente davantage à celui du sculpteur quand, seul devant la matière, l'artiste prend son burin et s'acharne à donner forme, à donner corps à un bloc, sans trop savoir où le conduiront ces gestes. " J'aime ce visage de la technique du sculpteur pour la musique. Tu modèles, le geste peut être fin, ou massif, ou rude. C'est la main qui fait la musique. On ne peut s'en tenir à la mélodie, je dirais même qu'il faut s'en méfier ! Il faut un contrepoint. " Travailler sur la matière, aller retour entre structure, déstructure de l'objet musical ; jeu de balancier, savant dosage entre rythmique et mélodique, interactions entre musiciens : c'est un mixage à tous les niveaux, un saut dans l'inconnu où l'on fait feu de tout bois, où l'on savoure l'accident quand il se produit. Remise en question permanente, Burger aime ça. Quid de " l'image " de groupe " intello " ? " Ce qui m'ennuie, c'est le côté péjoratif du mot intellectuel. Je pense qu'on ne l'est jamais assez. Si c'est un reproche, je l'assume. En même temps, je ne me considère pas comme un intellectuel. "

Revenons au disque, sa texture particulière, son atmosphère : " Ce disque s'est fait dans une ambiance joyeuse malgré l'angoisse, la sensation de tunnel. Mais la joie était là, comme quand les choses prennent forme là, sous tes yeux... Avec des moments très forts entre musiciens, une espèce d'éblouissement. La musique cesse alors d'être décourageante parce que soudain on en comprend le sens. "

Météor Show fait voler en éclats toutes les idées reçues quant aux cloisonnements systématiques dans lesquels on voudrait enfermer la musique : " Il est des formes musicales dominantes dans l'industrie du disque. La répétition des mêmes sonorités entretient la fausse idée que rien ne bouge et qu'on ne peut rien changer. Tout le monde cède au charme de la mélodie. J'ai acquis le principe de restriction minimaliste pour rechercher le point le plus stable, faire des ellipses, réduire, suggérer des possibilités mélodiques plutôt que d'en imposer, même si cela implique de ne pas aller jusqu'au bout. " Laisser en suspens une note, un phrasé, rétablir les connexions musicales, expérimenter des assemblages même si au départ il y a une histoire de la musique commune et partagée : " J'aime quand les musiques renforcent la propre histoire de la musique." Place à la relecture de " classiques ", de morceaux passés à la postérité qui ont leur propre vécu comme Play with Fire, des Stones, Mooshiner, de Dylan, ou Hey Baby, de Hendrix. La reprise " pour renouer autrement les fils de cette longue histoire ". Qui n'est pas un éternel recommencement, mais Burger sait pertinemment que sans les Stones, Hendrix, Coltrane ou Parker, la musique n'aurait pas la même saveur.

 

Propos recueillis par Zoe Lin - L'Humanité 31 Mai 1999