la rage et les couleurs (guitard oké Hors serie N°5) (novembre-decembre 1997)
Loin de se flétrir, Noir Désir agrémente son rock rugueux de sonorités nouvelles .
Il y a mille façon de vieillir. Dans le refus du temps qui passe, accriché aux valeurs qui ont enflammé l'adolescence, si bien qu'à un certain stade, ça en devient ridicule. Dans l'angoisse quasi obsessionnelle de bien vieillir, au point qu'on se fourvoie là on avait promis de ne pas s'égarer. Enfin, dans l'angoisse des jours à venir, mais avec une certaine lucidité, ce qui permet d'évoluer sans trop y laisser de plumes. C'est sans doute cette démarche-ci qui confère à Noir Désir une certaine noblesse. Noble parce que depuis les débuts, Bertrand Cantat et consort se sont toujours efforcés de conserver leur indépendance que ce soit par rapport à leur maison de disques - ce qui n'a pas toujours été sans mal - ou par rapport aux médias - ce qui n'a pas non plus été aisé.
Pourtant, en dépit de cette obsession, qui consistait à ne pas se laisser pièger dans les filets du rock system, Noir Désir a toujours été présent depuis ses débuts, nous gratifiant chaque fois d'un tube (de Aux sombres heros de l'amer à Un jour en France). Ceci expliquant cela, Noir Désir est devenue une référence, à force d'authenticité et de tenacité.
Taratata : que seraient-ils allés foutre dans cette galère ?
Produit par ted Niceley (producteur de Fugazi notamment), le dernier album de Noir Désir, paru l'an dernier (1996), marquait un tournant dans la carrière des Bordelais. Autant "Tostaky" s'était distingué par son caractère rageur, autant "666.667 club" se démarquait par sa finesse. Ainsi, sur la formation initiale (dans laquelle Jean-Paul Roy remplace Frédéric Vidalenc) sont venus se greffer des instruments plutôt inattendus tels un sax et un violon. De là à dire que les Bordelais ont retourné leur veste...C'est un peu fort. Disons qu'ils ont choisi de défricher des terrains où le rock ne se sentait pas forcément à son aise. rencontré au détour d'un concert, le Hongrois Akosh Szelevenyi, issu du jazz, a participé de manière déterminante au dernier album, notamment sur "666.667 club" et sur "Les persiennes". Quant aux parties de violon, exécutées par Iajko Félix sur le titre "Ernestine", elles ne sont pas franchement nouvelles, puisque l'opus précédent comportait déjà du violon. Cependant, loin de vouloir se cantonner à une instrumentation traditionnelle, Noir Désir s'est également offert une petite incartade dans la dimension technoïdale, notamment sur "Fin de siècle".
Si donc le dernier album des Bordelais n'est pas empreint de la rage flagrante de "Tostaky", en revanche, il s'est enrichi de nouvelles sonorités, sans pour autant renoncer à dénoncer les tares de notre société. Un étonnant compromis entre la volonté de rester intègre tant sur le plan musical que sur la plan moral et la nécessité d'évoluer du point de vue artistique. Difficile, dans ces conditions, de reprocher à Noir Désir un manque de pertinence, alors même que le groupe avait aimablement refusé un invitation à taratata. "Que seraient-ils aller foutre dans cette galère?..."
Article de Benjamin Cutaway