E-ZINE ROCK Avril 1997
Après des années de route, Noir Désir a décroché la place de numéro 1 du rock en France. Sans aucune concession, avec une rage et une énergie du survoltés, les bordelais se sont tracés le chemin de la goire. Cinq albums studio et un live ont suffis à la bande à Cantat pour devenir une valeur sûre.
Reniant "La XXX au pognon", crachant sur l'hypocrisie, Noir Désir s'est toujours renouvelé sans jamais décevoir.
Après la sortie de "666.667 club", de deux singles "Un jour en France" et "A ton Etoile", et l'arrivée d'un nouveau bassiste, Noir Désir a entamé une longue tournée à travers la France avec comme terminus le Zénith d'Orléans le 8 février, où nous les avons rencontré.




 
Vous êtes beaucoup sollicités, y a t-il des questions qui vous agacent ?

Sergio - Ce sont les répétitions qui agacent. Pas les questions en elle-mêmes. Quand tu enchaînes les interviews, au bout d'un moment, sur la longueur, sur les mois, même si tu les choisis, tu as tendance à répondre mécaniquement. On essaye de faire en sorte que ce soit assez aéré, pour avoir des réponses qui évoluent, qui restent vivantes, quoi.
Denis - Si ! il y a une question qui est un peu chiante, je trouve, et qui revient de temps en temps, c'est : "Mais alors comment vous faites pour contenir toute la pression que vous avez sur les épaules, c'est pas trop dur ?" et à force qu'on nous dise cela, ça devient de plus en plus dur !
Bertrand - On préfère que quelqu'un en parle plus subtilement, qu'il ait compris une certaine pression et qu'il arrive à en parler, à échanger des idées sur ce que ça peut être, plutôt que de nous poser la question comme ça, parce que du coup, La pression, alors là elle est là. Les mecs défilent, et, en fait, c'est eux qui te mettent la pression.
Denis - Eh ! oui. avec leurs "Alors comment vous faites les gars ?", à la fin de la journée, on se demande "putain, c'est vrai, comment on fait ?"

 
Quel regard portez-vous sur le dernier album avec un peu de recul ?
Bertrand
- On a peut-être pas encore assez de recul pour cela.
Sergio - C'est surtout qu'on ne l'écoute pas, enfin moi je sais que je ne l'ai quasiment pas écouté depuis qu'on l'a fini, et je crois qu'on est tous dans le même cas, vu qu'on le joue.
 

Avez-vous déjà joué des morceaux sur scène avant de les enregistrer ?

Bertrand - On ne l'a jamais joué sur scène avant. On aurait eu envie, mais on avait pas le temps de le faire.
Denis - Ça a d'ailleurs été le cas pour tous les albums, ça, à part le premier.
Bertrand - c'est vrai. Le tout premier, lui, il avait tourné avant.

 
Tous vos singles sont des morceaux écris en français, est-ce un choix de votre part ?

Bertrand - Mhh Les circonstances l'on fait.
Denis - On ne peut pas dire que la boîte serait ravie si on lui annonçait qu'on voulait absolument sortir un single en anglais. En fait, ils ne savent aussi travailler que dans un schéma bien établi.

 
C'est donc un choix de la maison de disque.

Denis - Non, là il se trouve que jusqu'à maintenant, tous les singles qui ont étés choisis, on les a choisis ensemble, et qu'on a décidé de les sortir parce qu'on les aimait. Mais c'est vrai que si on tenait absolument à sortir un single en anglais, je pense qu'ils tordraient un petit peu le nez, parce qu'ils ne seraient pas comment le bosser.
Bertrand - Mais c'est vrai que dans l'absolu on est pas contre. Surtout là où on en est, ce n'est pas comme un groupe qui n'avait jamais rien écrit en français et qui ne sais pas se servir de sa langue. Et puis ça fait effectivement partie de ce qu'on fait, et qui n'est jamais mis en avant en terme de single.

 
Et dans l'avenir, vous pensez que cela pourra se faire ?

Denis - Ouais, peut-être.
Bertrand - Franchement, on y pense même pas. Dans le proche avenir non, je ne pense pas.
Denis - Une réponse de normand : "Peut-être, peut-être pas !".

 
Lors de votre concert au Zénith de Paris, vous avez fait une allusion sur la mauvaise qualité de la salle, cela vous dérange t-il de faire des grandes salles ?

Bertrand - Sur scène j'ai posé la question, parce qu'en tant que spectateur je n'aimais pas tellement le Zénith. Le son ça compte beaucoup et on a un insonorisateur qui fait un travail remarquable. Si on le fait, c'est parce qu'on pense qu'on peut le faire bien, et que ça peut exister qu'il y ait des concerts qui soient bien dans un endroit comme ça. Sinon on ne serait pas là. On a fini par s'y faire parce qu'on avait plus tellement le choix, aussi. On s'y est fait et on le prend comme un challenge, dans le sens positif, de faire ça bien. Toute notre vie si on n'avait tourné que là dedans, si on avait que ça comme perspective, je ne sais pas si ce serait intéressant, mais de passer par là ce n'est pas inintéressant.
Denis - Oui, ce n'est pas une contingence que de public parce que, si tu vas par là, si on avait voulu se faciliter complètement la vie, on aurait fait Bercy : C'est la même contenance que deux Zénith. Là par contre, je ne pense pas qu'on aurait été à même de gérer la scène et la salle de la manière dont on l'entendait.
Bertrand - Ça nous fait déjà drôle, ces truc là sont déjà assez immenses. Que ce soit Paris ou en province, les salles de la tournée étaient un peu toutes comme ça. On s'y est fait, et on l'a prit positivement, sinon on avait qu'une chose à faire, c'est : arrêter tout.

 
A paris, vous avez commencé par l'Olympia et vous avez fini par le Zénith, est-ce un changement de stratégie de votre part ?

Bertrand - On avait envie de faire l'Olympia. Tout le monde savait que ce n'était pas la contenance suffisante, il était plein tout de suite, mais voilà
Denis - c'est aussi parce qu'ils allaient le démolir. c'était une occasion d'y refaire trois dates. Dans les autres villes, on passe dans des contenances de 6000-7000 places. En fait, soit on refaisait la même tournée que sur Tostaky, c'est à dire des petits endroits où on s'est tués à passer trois jours, quatre jours dans chaque ville, neuf ou douze à Paris, et à la fin de l'année ça fait 120 concerts
Bertrand - Et tu n'as pas le temps d'aller à l'étranger ou si tu y vas, c'est sur les rotules.
Denis - Quand tu y vas, tu as usé les morceaux, tu n'as plus le truc.
Bertrand - Et puis tu n'en as plus vraiment envie.
 

Vous êtes allés dans quels pays ?

Bertrand - A peu près tous les pays d'Europe de l'Ouest, et une partie de l'Europe de l'Est.
Denis - A part ça il y a eu aussi le Canada, et l'Espagne, l'Italie
Bertrand - On va peut être faire un petit tour en Argentine, dans les réjouissances

 
Le marché anglo-saxon ne vous intéresse pas ?

Bertrand - Si tu inverses le truc, tu vas tout de suite comprendre !
Denis - Déjà, on ne voit pas en tant que "marché". L'essentiel est de savoir si on peut aller faire un concert côté anglo-saxon
Bertrand - avec un disque qui est sorti
Denis - sans que ce ne soit un public d'invités ou un public d'ambassade comme ça se passe dans 90 % des cas. Le jour où on sentira qu'on peut faire ça : d'accord. Mais pour le moment, tant qu'on sent que les gens en face ne sont pas motivés , ou alors qu'ils sont motivés pour faire une sorte de petite opération prestige, "tac-tac, il y a des français qui viennent jouer en Angleterre", ça ne nous intéresse pas.
Bertrand - Il faut avoir conscience que ça n'a pas avancé d'un millimètre de ce côté là. En musique et pas seulement en musique c'est bloqué : les choses sont à sens unique entre les anglo-saxons et nous. Je ne voudrais pas foutre la merde mais ce n'est pas normal. On vit dans un aberration permanente. Nous on vient du rock, c'est eux qui ont inventé cette musique et ils le font très bien. Nous les premiers on écoute que des trucs comme ça, mais on écoute pas que ça. Puisqu'il y a des choses intéressantes, et d'ailleurs pas seulument au niveau rock ou pop, qui se font, il faudrait que la circulation des choses soit dans tous les sens. Et en cinéma c'est pareil ! Vous voyez une égalité dans les flux et reflux ? C'est absolument déséquilibré, et ça ne s'arrange pas, ça se dégrade.
C'est une réponse qui ne concerne pas que Noir Désir. C'est pour tout le monde pareil. Ça ne les intéresse pas C'est eux qui prônent le libéralisme et c'est eux les protectionnistes : vous n'y voyez pas une petite contradiction ? C'est facile de faire comme ça. On prône le libéralisme et la déstructuration, ce qu'on appelle la
Denis - Libérez-nous !
Bertrand - la dérégulation, libéralisme ! libéralisme ! et eux pfout ! Eeeh ! oui.

 
Pour en revenir à votre tournée, cela n'a t-il pas été trop difficile de choisir parmi vos cinq albums studio les chansons qui seront sur scène ? Quel a été votre critère de sélection ?

Denis - Ah bé, celles qu'on a envie de jouer. C'est tout con mais alors là On discute entre nous. On a fait chacun une liste
Bertrand - personne n'avait envie de jouer les mêmes donc donc on est pas là !
Denis - donc ce soir on va jouer n'importe quoi !
 

Certaines chansons sont-elles difficiles à jouer sur scène, à intégrer dans votre tournée actuelle ?

Denis - Pour parler du dernier album, c'est vrai qu'"Ernestine" sans violon, ça ne ressemble à rien.
Bertrand - Ça ne ressemble à rien et c'est tellement moins bien que ça nous fait chier de la jouer sans violon.
Denis - On l'a reprise un soir à l'Olympia parce que Félix était là (NDLR : Félix Lajko est le violoniste qui apparaît sur 666.667 club, le dernier album).
Bertrand - Du coup, c'était le panard de la faire avec Félix et ça nous a encore moins donné envie de le refaire le lendemain.
Denis - Moi, je sais que j'ai un petit pincement au cur qu'on ne reprenne pas sur cette tournée "The economic war" et "En route pour la joie".
Sergio - D'ailleurs, ce serait bien de changer un petit peu la liste pour la prochaine fois. On va peut-être réintroduire des trucs parce que ça fait 15-20 dates qu'on est là-dessus, ça va
Denis - plus que ça, même, au moins 30.

 
Et "Charlie", est-ce que vous l'avez déjà jouée sur scène ?

Sergio - Ouais, dans la tournée du "Silence sous les plaines".
Bertrand - T'es sûr ?
Denis - Si, c'est vrai. On jouait "Charlie", on jouait "Les oriflammes", "Tout l'or"
Bertrand - Ah oui, c'est vrai, ça.
Denis - Ah ! oui, on a joué un paquet de trucs !
Sergio - Ouais ouais mais "Tout l'or", on ne l'a pas jouée longtemps. On a essayé mais justement on arrivait pas à la faire tourner. Sur la tournée actuelle, on a abandonné "A ton étoile" parce qu'on arrivait pas à la jouer. Ça n'allait pas du tout, on la massacrait. On a bossé pourtant mais il est dur ce morceau, il est super dur. On ne peut pas avoir les guitares qui flottent comme ça au-)dessus de la chanson, c'est soit faux, soit ce n'est pas dans le rythme avec la basse-batterie parce que ce n'est pas facile à faire. C'est faux en plus entre la basse, la guitare a Bertrand, et la mienne. En fait, c'est le mélange des trois qui fait que c'est hyper dur à faire. On est donc retournés à quelque chose de plus basique : pendant le chant c'est plus rythmique, pendant les refrains on conserve un peu les mêmes éléments qu'il y avait sur le disque. Et puis ça change, il y a Akosh qui jouait dessus (NDLR : c'est le saxophoniste du dernier album).

 
On a assisté à plusieurs concerts de votre dernière tournée et on était étonnés de l'évolution de vos chansons d'un concert à l'autre, comment travaillez-vous cela ?

Bertrand - C'est quelque chose que tu sens. On prend les choses comme une matière vivante, comme on disait il y a une trentaine de dates, donc il y a une évolution. A l'intérieur de ça on sent des choses, on se laisse des plages de quasi improvisation, on laisse aller nos instincts.
Denis - De soirs en soirs, ça change.
Bertrand - Suivant la nature des morceaux, il y en a qui sont des matières brutes, et que tu ne peux pas tellement bouger, ce qui ne veut pas dire qu'ils sont bien ou moins bien, mais il y en a qui ont des natures très vivantes, malléables, alors celles là tu te dis tiens, tu creuses dedans. En plus c'est la vie, ça t'empêche de t'emmerder.
Sergio - On l'a toujours plus ou moins fait et Akosh il nous amène une ouverture.
 

Votre tournée s'arrête quand ?

Bertrand - Ce soir.
Denis - On s'arrête un mois et demi, puis reprend en septembre-octobre, mais il n'y a rien d'arrêté. Il y aura des festivals, des trucs comme ça

 
Vous faites le Printemps de Bourge, aussi.

Sergio - Ouais, c'est vrai, avec Prohibition.
Bertrand - Au début, à chaque fois qu'on nous demandais : "Vous faites Bourge ?" on répondait : "Non, on vient plutôt des milieux populaires".
Denis - On joue à 17 heures.
Bertrand - Ouais, on a appris ça aujourd'hui, c'est pas une très bonne idée, mais bon.
Sergio - On sera pétés plus tôt.
Denis - On sera pété plus tôt, effectivement, mais
(Eclat de rire général)
Sergio
- Non, c'est pas vrai, en plus.
Denis - Oh, c'est trop tard, ça va être publié, maintenant.
Sergio - Oh ! on peut quand même dire n'importe quoi, non ?.
 

Avez-vous un mot à dire sur le choix de vos premières parties ?

Denis - En ce qui concerne "dEUS" on les a choisis tout d'abord parce qu'on les aime et puis parce qu'on a pas voulu taper systématiquement dans le groupe de rock comme ça s'est passé sur la tournée Tostaky. On a cherché à se faire plaisir : c'est un choix autant musical que jouissif.
Bertrand - En novembre-décembre, Akosh est venu avec sont quartet pour assurer la première partie. Là on était dans de la musique qui s'identifie comme éthno-jazz ; ça n'avait donc strictement rien à voir avec ce qu'on fait mais c'est passionnant de les avoir sur scène. Pour la suite, c'est un peu plus morcelé.
Denis - On a pensé à Prohibition, avec nous à Bourge, et sur d'autres dates.
Bertrand - On voulait aussi demander à Diabologum.
Denis - Diabologum c'est contacté, déjà, je crois.
Sergio - On va faire au moins six date avec les sixteen Horspower, aussi.
Bertrand - On voulait demander à Assassin de nous prêter main forte pour Toulon mais c'est un peu prématuré parce qu'on ne les a pas encore contacté.

 
On emploie souvent pour qualifier Noir Désir des expressions comme "nerfs à vif", enragés, écorchés vous reconnaissez-vous dans ces termes ?

Jean-Paul - tu nous regardes et tu vois
(Bertrand est allongé sur un matelas ; Sergio assis dans un coin, adossé contre un mur ; Jean-Paul joue avec les baguettes de Denis tandis que Denis est tranquillement assis sur un siège avec un bandage autour du poignet - une tandinite)
Denis
- En tous cas ça vaut mieux que abrutis, endormis, têtes à claques On ne se reconnaît pas toujours dans les médias. Des fois on se dit : "Tiens, c'est nous, là ?"
Bertrand - C'est comme le truc de Cantona, là, c'est toujours un peu réducteur. C'est jamais le portrait exhaustif auquel on aspirerait. Ce sont des choses qui sont en surface même si ce sont des choses profondes. Là aussi, c'est une matière vivante, il y a des écorchures différentes, des couleurs différentes. On évolue. On vieilli. Mais c'est bien, hein, c'est cool. Vous verrez Bande de p'tits cons !
Tout le monde éclate de rire.
Denis (qui s'étouffe) - Ah ! t'es con !
 

Malgré votre succès grandissant, on vous voit rarement à la télé. Pourquoi ?
Denis - Peut-être une relation de cause à effet, je sais pas. mais tu trouves qu'il y a des émissions intéressantes à la télé ? (Puis pendant qu'on cherche) Ben nous non plus. (Rires) Donc on ne va pas aller se faire chier plus que toi !
Bertrand - Ça nous arrive tellement rarement de rencontrer des mecs bien !

 
Quelles émissions avez-vous fait depuis la sortie de votre dernier album ?
Denis - On a fait le journal télévisé de France 2, Rock Express, le vrai faux journal qui passe demain
Bertrand - Le Vrai journal.
Denis - Le Vrai journal, ouais.
Sergio - Ah ! j'ai pas canal, moi.
Jean-Paul - C'est en clair.
Denis - T'as pas la télé ! Là, c'est niqué.
Sergio - C'est pas grave.
Denis - On te l'enregistrera, ah là là !
Bertrand - Y'a rock Express, y'a le vrai f journal, y'a "Plus vite que la musique" Ce sont des émissions spécialisées où les gens sont venus tourner trois morceaux sur scène, des extraits, des bouts d'interview, des choses comme ça. Sinon des émissions comme Taratata mais on trouve que les questions sont trop cons, les lumières sont chiantes aussi. Le son est bon, donc c'est un peu dommage.

 
Et Nulle Part Ailleurs ?
Bertrand - Justement non parce que Nulle PArt Ailleurs ils commencent à nous faire chier. Ben oui, qu'est ce que ça veut dire ? Dans ce que ça dégage, ce n'est pas fondamentalement différent, donc faire croire à ce point là qu'on est autre, que eux ils ont le droit C'est pas autrement tu sais, c'est du show télévisuel.
Denis - Il n'y a que la plage musicale qui est bien. Mais c'est pas dit qu'on le fera pas, si un jour on est de bonne humeur, on sais jamais.
Bertrand - C'est vrai que la programmation musicale est de qualité. Mais tous les groupes anglo-saxons qui y passent n'ont pas la connaissance de ce contexte audiovisuel français. Mais de refuser ça, pour nous, c'est un acte qui veut dire quelque chose. Canal +, vous n'avez pas de quoi vous cogner trop longtemps non plus.
 

Vous avez été nominé pour les victoires de la musique, qu'est-ce que ça vous fait ?

Bertrand - C'est une création sémantique, ça : "Nô-miné" !
Denis - Je frôle l'érection, là. Dès qu'on a su qu'on était nominés, paf ! on a tout refait ! Une horreur !

Sergio (ironique) - On a fait la fête pendant trois jours
 
Donc vous n'y allez pas.

Denis - On en revient au problème de tout à l'heure : "Tu trouves ça bien les Victoires de la Musique ?" Non, ben on ne va pas se faire chier plus que toi ! Voilà c'est pareil.
 
Vu du public, on a l'impression que Noir Désir ça a grouillé, grouillé, puis paf ! ça a explosé soudainement. Est-ce que ça correspond à votre vision de vous même ?

Bertrand - On nous disait ça pour le deuxième album, il y a il y a huit ans.
Sergio - Ouais, exactement.
Denis - Nous on a commencé à nous faire peur, enfin oui et non ! Il ne faut pas faire chochotte non plus ! Mais c'est vrai que dès qu'on a vendu 20 000, 25 000, puis 30 000 albums, ça commençait à nous faire peur. Et maintenant ça fait beaucoup plus que ça, et chaque fois on nous dit : "Ben alors, ça grouille, qu'est ce que ça grouille !"

 
Jusqu'ici, vous avez fait combien de vente pour "Un jour en France" ?

Sergio - 300 000 je crois.
Bertrand - C'est à peu près l'équivalent des ventes de Tostaky.

 
Un tel succès n'est-il pas d'un certain point de vue un problème car quoi que vous fassiez pour le prochain album, vous avez une marge de public fidèle qui assurera vos vente ?

Bertrand - Oui, mais on ne pense absolument pas comme ça.
Denis - Ça c'est vrai pour tous les groupes, c'est la marge qui change. Tu as quelqu'un comme Thiéfaine qui, sans télé, sans pub, vend 300 000 exemplaires à chaque nouvel album. Il a un public fidèle.
Bertrand - C'est vrai qu'on a plus nos preuves à faire à chaque fois comme c'était le cas au début, mais il nous reste des choses à prouver, des choses qui n'ont strictement rien à voir avec les chiffres de vente, pour nous déjà, pour ce qu'on va vivre, pour les échanges avec le public, avec les gens qu'on croise. Mais si c'était là que tu voulais en venir, pose moi une autre question alors : une question sur la pression que peut exercer l'existence d'un public. En réalité, ce qu'il faut faire, même si tu as énormément de respect pour se public, c'est à un moment donné faire comme si il n'a rien à attendre. On donne ce qu'on a de vrai à donner, et ça ne peut pas se calculer à l'avance. Tu te retrouves avec ce que tu as à donner, et le reste n'existe pas. Ce que tu as à donner le public ou ne le prend pas. Il y a ceux qui disent que ça a changé, que c'est moins bien, ou ceci-cela, tu crois que ça ne nous effleure pas ! Moi en particulier avec ma fonction dans le groupe, je suis obligé d'avoir conscience de tout cela. Mais il ne faut pas que ce soit ça qui prédétermine ta création, sinon tu es foutu. En gros, il faut faire ce qu'on sent.
Denis - C'est une chance de ne pas être tributaire de ce qu'il se passe à côté. Il y a un public, les ventes de disques se passent bien, ça nous permet en plus de ne pas avoir un poids sur les épaules qui serait : "Comment on va croûter ce soir ?". Ça va, on vit bien.
Bertrand - C'est important cela. Ce n'est pas la peine de nier la réalité qui cogne. On a vu des gens s'user, des gens qui sont devenus amers, qui en ont eu marre de lutter dans le désert, de voir que ça ne répondait pas. Ça fait mal, quoi. A un moment, on a besoin de reconnaissance. Nous, on est quand même content que ça réponde même si des fois on trouve que c'est trop, que ça devient oppressant.
Et d'ailleurs, c'est carrément autre chose, une extrapolation, toute ce qui t'est proposé, toutes ces portes qui s'ouvrent à toi quand le succès arrive, la plupart du temps, les gens en font souvent un usage catastrophique. Et c'est là, que les choses se passent. Ceux qui jugent ça en n'ayant pas vécu, en ayant pas eu l'expérience de ça, qui disent "ouais ce sont des salauds", je m'en méfie toujours parce que ce n''est que devant l'expérience que tu peux vraiment savoir. C'est comme ceux qui prétendent qu'ils auraient été résistants pendant la guerre qui sait ce qu'il en aurait été réellement ? Denis - Comme disait Coluche, les héros, c'est pas ceux qui défilent avec leur médailles. Les héros, ce sont ceux qui sont morts !
Bertrand - Maintenant on ne nous emmerde plus avec ça. De toutes façons, ceux qui se désignent comme les puristes du rock et qui critiquent cela, ils rament comme des fous et n'ont pas l'occasion de devenir des pourris ! Et, à la première occasion ils deviennent les larons, comme dans la chanson. Et c'est là qu'il faut avoir une éthique. Et si t'as pas d'éthique
Denis : Et toc.
Bertrand : Ça devient du toque ! C'est une tactique !


Avez-vous des inédits en réserve ?
Bertrand - On a surtout des embryons de morceaux. On en a une dizaine qui traîne mais on a rien d'achevé, ce ne sont pas des produits finis comme dirait le manufacturier. Il y a plein d'idées qui traînent, et qui sont restées en friche.
Denis - Quand on bosse sur un album, parfois on reprend des idées qui traînaient, d'autres fois on part de zéro. 'Joey" est, par exemple, une rescapée d'une cession qui datait du début mais je crois que c'est la seule.

 
Au niveau partitions, on a très peu de choses de Noir Désir. Est ce qu'il y a quelque chose qui va être fait à ce niveau là ?
Denis
- Il y a des partoches qui traînent
U(ironiquement) - C'est trop compliqué, les mecs n'arrivent pas à déchiffrer : mi-mi-mi-
Denis - On s'est penché sur la question et ça ne nous a pas paru primordial.
Sergio - Je crois que certaines chansons sont disponibles par feuillets. Si on mettait toutes nos chansons dans un bouquin, il serait vendu hyper cher.
Bertrand - C'est vrai que les mecs vendent ça trop cher.
Sergio - Je sais que l'ensemble de nos partitions sont sur internet. Un mec s'est amusé à tout retranscrire.

 
Une question fleuve : comment voyez-vous Noir Désir dans dix ans ?

Denis - Oh ! c'est pas une question fleuve, tu sais.
Bertrand - On voit pas noir désir demain, alors dans dix ans.
(silence).
Denis - T'as vu comment avec un fleuve on (il siffle)
Bertrand - Il ne reste plus qu'une petite rivière !
Denis - On ne voit pas si loin que ça. Quand tu es en tournée tu as déjà du mal à envisager s'il y a un prochain album, comment il sera parce que ce sont des étapes différentes. On ne fonctionne pas avec un plan de carrière, ou alors on est vachement mauvais ! Lui, (NDLR : en parlant de Jean-Paul) peut-être que dans dix ans il aura un magasin de musique, moi un magasin de patates
Jean-Paul - Plutôt patates, moi.
Denis - Plutôt patates ? Bon ben d'accord.
Jean-Paul - On fera des échanges !
 

Interview réalisé par Stéphane Godfroy, Christophe Godfroy, Davy Hoyau.

 
L'interview se termine avec l'apparition d'Elmout qui arrive avec son chronomètre, tout le monde se lève, Bertrand se met à crier, à chanter On fait quelques photos-souvenir, et dans le brouhaha la voix de Sergio perce : Eh ! vous êtes toujours en train d'effacer Captain Beefheart !
Davy : Ah, pardon.
CLIC
L'enregistrement laisse place à une musique type blues-jazz moderne. Très bonne cassette, au fait. Très reposante après avoir vécu des trucs.
Sur la face B il y avait dEUS.
Sergio nous a dépanné d'une cassette pour réaliser cet interview tirée de sa collec' personnelle : Captain Beefheart, grand ami de Franck Zappa et ex-leader du Magic Band.
L'interview s'est déroulé le 8 février 1997 au Zénith d'Orléans.
Après avoir donné la bonne combinaison de codes secrets, nous entrons dans l'antre du Zénith d'Orléans. La salle est immensément vide, on nous amène vers le backstage. De grands rideaux noirs mènent au plafond et un chauve passe fugitivement devant nous. C'est Denis, le batteur de Noir Désir.
Un grand chevelu arrive avec un plat de légumes dans chaque main en clamant à des inconnus "J'leur ramène, parce que là".
Bertrand revient vers nous, et nous demande : "c'est vous, le fanzine ?"
- Yes !
- Alors on y va.
(Il montre l'escalier qui monte vers la loge) - C'est par là !
Vous voulez boire quelque chose ? demande Bertrand. Coca, bières ?
- Bières ! (l'effet du Kisscool disparaîtra bien vite, se dit-on).
Le capot du magnétophone s'ouvre sur un vide sidéral. On a oublié la cassette dans la voiture.
Pendant que nous nous larmoyons, voire envisageons l'annulation, Sergio, sans rien dire, part à la recherche d'une cassette. Il revient, un peu triste. "C'est dommage, je l'aimais bien cette cassette". Et nous la donne.
- Sachez juste que vous allez effacer Captain Beefheart.
Petite phrase : Ah ! oui, Dom ? Celui qui met un bout de musique, un bout d'interview avec ces ciseaux, là ?
toutes ces portes qui s'ouvrent à toi quand le succès arrive, la plupart du temps, les gens en font un usage un peu catastrophique
On peut faire des photos ?
Oui mais alors rapidement. Comme si tu étais en vacances et que tu ne nous connaissais pas !