Liberté de Circulation. (rock and folk / juillet 1999)imgconcert.jpg (14106 octets)

 

Pointant des promesses électorales non tenues, une pléthore d'artistes en règle a donné un concert de soutien aux sans papiers. Histoire et coulisses d'un événement parisien aujourd'hui disponible en disque jusqu'au fond de nos provinces les plus reculées.

Cette histoire commence le 7 avril dernier à l'Elysée Montmartre par un concert très particulier. Particulier pour quelles raisons ? Tout d'abord parce qu'il réunissait sur scène une affiche assez étonnante (Noir Désir, Louise Attaque, Rodolphe Burger, Miossec, Dominique A, les Rita Mitsouko, l'ONB, Rachid Taha, etc) et également parce que la recette de ce concert partait dans les caisses d'une association très active dans la lutte pour la régularisation des sans-papiers mais peu connue, le GISTI (Groupement d'Information et de Soutien aux Travailleurs immigrés).

Créé en 1972 par des élèves de l'ENA, le travail du GISTI repose sur une idée forte et simple : l'Etat de droit est indivisible et si l'on ne respecte pas les droits des étrangers, on n'est pas loin de porter atteinte aux libertés de tous. Leur action se développe à plusieurs niveaux : avec une aide juridique directe aux étrangers, des publications spécialisées et plus grand public qui expliquent le droit en vigueur, des formations ouvertes à tous ceux intéressés par le droit des étrangers et une participation au débat d'idées sur la politique française et européenne en matière de migration. Toute l'action du GISTI se place sous le signe de la liberté de circulation.

Qu'est-ce qui a poussé les nombreux artistes français présents à ce concert à y participer ? En quoi se sentent-ils tellement concernés par l'action du GISTI au point d'autoriser également la parution d'un CD témoignage live d'une partie de ce qui s'est passé ce soir-là ?

Autour de la table, Jean-Pierre Alaux permanent au GISTI, Rodolphe Burger de Kat onoma et Bertrand Cantat de Noir Désir.

 

Rock&Folk : Revenons au concert du 7 avril. Comment a démarré toute l'histoire ?

Jean-Pierre Alaux : Le GISTI avait des problèmes financiers qui mettaient très gravement en cause l'existence de l'association : les intéressés en parlent à Rodolphe qui soutient leur action depuis longtemps et aux Inrockuptibles qui réagissent très vite et décident de monter un concert avec l'aide du tourneur Alias. Noir Désir est également contacté et c'est l'effet boule de neige : à l'arrivée, par le seul effet du bouche à oreille, on se retrouve avec trente-deux groupes motivés. Nous ne nous attendions absolument pas à un tel enthousiasme et à une telle dynamique.

 

R&F : Y a-t-il eu des refus parmi les groupes contactés ?

Jean-Pierre Alaux : Certains n'ont pas pu venir pour des questions de calendrier, comme Manu Chao par exemple, mais aucun n'a refusé pour des raisons idéologiques.

 

R&F : Alors vous, Noir Désir, qui êtes très souvent sollicités, pourquoi avoir répondu positivement à la sollicitation du GISTI et non à celle de Solidays par exemple ?

Bertrand Cantat : L'histoire de Solidays est sûrement nécessaire mais qui est pour le sida aujourd'hui ? La lutte contre le sida c'est consensuel et, tout le monde le sait, il y aura du monde à Solidays. La cause détendue par le GISTI, à savoir la liberté de circuler, semble beaucoup moins acquise même si on ne cherche pas à tout prix la cause impossible à détendre. Et puis ce n'est pas un hasard si l'on nous a contactés, on sait que nous ne sommes pas insensibles à ce problème. Enfin, le mélange artistique était intéressant, original : ça a été le petit plus, cette histoire de rencontre entre les groupes, on a pu ainsi créer un contexte où chacun ne s'est pas contenté d'étaler sa propre image, on essaye de participer à des actions qui soient dans le prolongement de ce qu'on fait, de ce qu'on ressent.

 

R&F : Y a-t-il eu un tri parmi les groupes qui se sont proposés pour ce concert ?

Tous : Non, nous n'avons fait aucune sélection, personne ne voulait refuser qui que ce soit.

Rodolphe Burger : C'est pour ça qu'il y avait aussi des rappers comme KDD ou Fabe. En revanche, ce qui est regrettable, c'est la réaction des gros groupes de rap français qui a été de dire : "oui, on vient mais c'est tant !"

Bertrand Cantat : Pourquoi il n'y avait pas lAM ? Mais en même temps, il n'y avait pas IAM à Vitrolles non plus pour soutenir le sous-Marin. C'est le problème du cloisonnement : chacun suit son chemin. Je crois que les groupes de rap sont beaucoup plus dons le concret, à décrire le quotidien.

 

R&F : Avez-vous senti une différence chez les artistes après le concert vis-à-vis de l'action dU GISTI ?

Rodolphe Burger : Le soir même, c'était le bordel, il y a eu peu d'échanges mais ça a eu lieu au moment de l'enregistrement de la version commune des "P'lits Papiers" : ça a permis de continuer à discuter.

Jean-Pierre Alaux : Il y a vraiment eu une dynamique fantastique avec certains groupes comme Blankass qui a appelé la semaine dernière pour nous demander du matériel d'information sur le GISTI à distribuer avec leurs T-shirts ! De toute façon, on a toujours eu le souci d'expliquer notre action et de ne pas demander aux artistes de venir chanter juste comme ça. Theo Hakola, Noir Désir, Akosh sont venus à nos réunions et il y a aujourd'hui un noyau dur d'artistes qui peuvent être nos porte-parole et nous aider à diffuser nos idées.

 

R&F : En quoi ce concert a-t-il été un marnent particulier pour vous ?

Bertrand Cantat : Il y avait une telle somme d'émotions, beaucoup de gens, beaucoup de bordel et pas du tout de problèmes finalement pour faire passer toute cette émulation sur scène. C'était vraiment très fort.

Rodolphe Burger : Et puis, personne n'a fait son show.

Bertrand Cantat : Par exemple, Grégoire des Têtes Raides a lu un texte de Prévert, tout seul, face au public car tout le groupe ne pouvait être là pour des histoires de tournée. Lui, il a vraiment cherché un moyen d'être présent et c'était excellent avec le violon de Yann Tiersen qui lui faisait écho.

 

R&F : Ce soir-là sur scène, quelle était la part d'impro et celle de répétitions ?

Bertrand Cantat : on ne pouvait pas improviser, surtout dans ce cadre-là. Nous, Noir Désir, on a pris la semaine précédant le concert pour répéter avec qui le voulait et ça a donné "Les P'tits Papiers" avec Catherine Ringer, un morceau de Ferré avec Miossec, "Play With Fire" avec Little Bob et Rodolphe.

 

R&F : Parlons du choix de vos reprises justement.

Bertrand Cantat : Rodolphe et Little Bob jouaient déjà ensemble "Play With Fire" et nous aussi, il nous arrivait de la faire sur scène. Donc ça tombait sous le sens et en plus, le texte n'est pas si éloigné du sujet. "Ne joue pas avec le feu" car cette injustice avec les sans-papiers, c'est du feu à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. Je suis un catastrophiste : je pense que si la justice ne trouve pas sa place, les conséquences seront dramatiques.

Rodolphe Burger : Pour la reprise des "P'tits Papiers", ce qui était intéressant, c'était de déplacer des paroles, tout en les respectant dans leur intégralité. Mises dans un autre contexte, c'est étonnant de voir leur résonance. Au départ, il faut savoir que c'était un texte de Gainsbourg sur la presse, chanté par Régine.

 

R&F : Cette collaboration avec le GlSTI ne s'est finalement pas bornée à ce concert puisqu'il y a également un disque live.

Jean-Pierre Alaux : En fait, ce concert monté au départ pour combler le déficit financier du GISTI s'est révélé être une opération blanche. Les groupes sont venus jouer gratuitement, l'Elysée Montmartre nous a prêté la salle mais il a tout de même fallu payer la technique, les déplacements et logements des artistes. C'est vrai qu'on est parti sur une salle inadaptée à cette affiche inespérée mais il était trop tard pour en trouver une autre plus grande. D'où l'idée de rebondir sur un disque : ça modifie la donne du concert qui devait rester un marnent exceptionnel mais ça permet aussi de continuer l'histoire.

 

R&F : Sauf qu'on ne retrouve pas l'intégralité du concert sur le disque. Quid de l'absence des Rita Mitsouko pourtant présents ce soir-là ?

Rodolphe Burger : C'est terriblement dommage mais le concert a duré de 18 heures à 2 heures du matin. Il aurait fallu un quadruple CD. En ce qui concerne Catherine Ringer, elle était très enthousiaste le soir du concert mais, au moment de sortir le disque, elle s'est rétractée sans que l'on arrive à savoir exactement pourquoi.

 

R&F : les gens sont très sollicités pour des concerts de charité, des CD...

Bertrand Cantat : oui mais là, ce n'est pas la même ambiance que Sol En Si ou les Restos du Coeur. Ce ne sont ni lesmêmes personnes qui y participent, ni la même manière de procéder.

Jean-Pierre Alaux : A l'intérieur du CD, il y aura un livret le plus explicatif possible sur les actions du GISTI qui sont très techniques, plutôt confidentielles mais qui ont leur importance. Par exemple, les étudiants en droit aujourd'hui s'aperçoivent que l'essentiel de la jurisprudence sur les étrangers se toit sur des recours du GISTI.

Bertrand Cantat : Je vois une différence fondamentale avec SOS Racisme et ses actions de masse même si je ne crache pas dessus à 100 %, mais qui n'étaient que dans le spectaculaire avec un côté artistique déplorable - rappelle-toi des play-bock ! - une inféodalité politique pesante, le truc de masse complet mais qui n'a plus aucune âme. Le GISTI, ce sont des gens qui bossent à leur échelle sans chercher à se faire connaitre à tout prix. C'est une démarche qui nous ressemble : il est beaucoup plus gratifiant d'être dans quelque chose comme ça plutôt que de venir se greffer sur une grosse machine humanitaire ou politique. Et puis, il est urgent de rouvrir le débat sur l'immigration en France, qui a de plus en plus tendance à se refermer. Tout s'est terriblement dégradé et on a vachement besoin de gens compétents pour défendre les bonnes idées.

 

interview de Marion Guilbaud (R&F juillet 1999)