Citizen Serge

L'univers de Serge Teyssot-Gay habille le livre « La peau et les os » de Georges Hyvernaud Avec son deuxième album solo qui succède à un hanté « Silence Radio », le guitariste de Noir Desir a accompli son devoir de citoyen en adaptant sur disque l'immense « La peau et les os » du trop méconnu Georges Hyvernaud, que ce dernier a écrit après cinq ans de captivité.

C'est à Lille, où Sergio se produisait fin janvier, que nous avons retrouvé la fine lame de Noir Desir enthousiaste et heureux de faire découvrir et partager les mots d'Hyvernaud.

 

à Lille Lorsque nous nous sommes croisés à Paris au début 1999, tu m'avais dit « je suis tombé sur un bouquin extraordinaire, je vais en faire quelque chose ». Presque deux ans plus tard, tu le défends sur scène...

C'est un ami qui m'a fait découvrir le livre et dans un premier temps, j'ai été bouleversé. Ensuite, j'ai pris conscience de la musicalité de l'écriture et de la rythmique des mots. C'est rare parce que ce n'est pas un texte écrit dans le but d'être mis en musique. Hyvernaud fait partie de ces écrivains pour qui la rythmique des mots est importante. Sans parler de ce qu'il raconte et comment il le fait. Les associations de mots sont proches de la formule tant c'est claquant, puissant. C'est une écriture dense et dégraissée avec le souci du mot juste. Son regard est lucide sur certains comportements dans certaines situations. Il disait que l'homme était merveilleux et magnifique mais aussi capable du pire. Savais-tu qu'il écrivait en marchant ? C'est sa femme qui me l'a dit. Il écoutait de la musique, il montait des pièces de théâtre avec ses élèves chaque année, il était sensible à la musique et à la création.

« Hyvernaud fait partie de ces écrivains pour qui la rythmique des mots est importante » Qu'est-ce qui t'a touché et ému dans « La peau et les os » ? Son universalité ?

Voilà. Tu le relis aujourd'hui et tu te dis qu'il aurait pu sortir ces dernières années parce que son propos est tellement contemporain. C'est un livre sans âge. Quand il te parle de la folie, il te parle de ton quotidien et de tes habitudes. Tout le monde parle de cela. Au bout du compte, Hyvernaud aimait la vie. C'est pour cela qu'il est si dur. Il est terriblement exigeant avec lui-même, il est honnête, intègre. Je me suis souvent demandé comment il aurait réagi à mon travail et l'avis de sa femme était très important. Elle m'a toujours encouragée.

Sans cette rencontre avec le livre d'Hyvernaud, aurais-tu enregistré un deuxième album solo ?

Bien sûr. C'est ce qui avait motivé « Silence radio », mon premier disque. J'avais envie de faire quelque chose tout seul mais je ne me suis jamais dit que j'allais m'attaquer à un écrivain.

Qu'est-ce qui est le plus difficile ? Amener l'intégralité de la matière première comme « Silence radio » ou travailler sur l'adaptation d'un livre, matériau déjà existant ?

C'est tellement différent, les deux sont assez difficiles. De toute façon, je ne fonctionne jamais de la sorte. Je pense juste à l'envie et au besoin de faire ce que j'ai à faire. Si j'ai des difficultés, je m'en fous, si c'est facile, je m'en fous aussi.

C'est malgré tout une année de travail...

Un peu moins, oui. J'ai beaucoup passé de temps dans ma cave à chercher des idées. J'avais les thèmes mais je n'arrivais pas à les achever. Je me suis obligé à composer huit morceaux en un mois. Les huit mois précédents où j'ai essayé plein de choses ont été tout aussi importants. C'est seulement maintenant, alors que l'enregistrement s'est achevé en juin 2000, que je me rends compte que j'ai appris plein de choses. C'est flagrant. Ça n'a pas franchement d'importance au bout du compte mais j'ai le sentiment de travailler plus vite, d'aller plus loin, d'expérimenter plusieurs choses à la fois de façon plus efficace. Ce sont des routes souterraines que j'ai déjà empruntées en solitaire. La prochaine fois, je vais démarrer à un autre stade que celui auquel je me suis arrêté.

Un apport ou un bonus supplémentaire pour le nouveau Noir Desir ?

Vraisembablement, oui. Ceci dit, j'ai difficile à dire de quelle manière mon travail aura une influence sur le groupe.

Enregistrer un disque avec des extraits de « La peau et les os » est clairement un choix politique. Tu viens d'accomplir ton devoir de citoyen ?

C'est bien de l'avoir fait... Quinze jours après sa mort (ndlr 1983 ), son épouse a reçu un coup de téléphone du genre Bonjour, je souhaite ressortir les livres de Georges Hyvernaud, puis-je lui parler ? Désolée, lui répondit sa femme, il est décédé il y a deux semaines. La dernière phrase de l'album est d'ailleurs un clin d'oeil entre lui et moi et elle dit Je me sens oublié comme un mort à son enterrement. Dans mon esprit, il est clair que ce disque est engagé. J'en ai marre des artistes qui s'autocensurent et qui se coupent les ailes en disant « il faut s'aimer comme si, il faut s'aimer comme ça ». J'en ai aussi marre des gens qui disent Hyvernaud, c'est hyper noir, tu te rends compte de ce que t'as fait ? Ces gens-là peuvent aller se faire voir. Bien sûr que c'est noir. En même temps, ces mêmes personnes trouveront génial quelque chose de bien lisse, polissé, coupé en quatre et qui dépasse pas. Je crois que les gens n'aiment pas ce qui les dérange. Ils trouvent ça anormal. Ce que je trouve anormal, c'est l'inverse.

« Les gens n'aiment pas ce qui les dérange. Ils trouvent ça anormal » L'habillage sonore est très visuel, très imagé. On peut y voir la brume, les visages mordus par le froid, entendre le bois des baraquements qui craque...

J'adore ça. Installer un décor est vraiment ce que je préfère dans mon travail. Si quelqu'un y est sensible, il aura la curiosité d'y rentrer et de se balader à l'intérieur. Tu aurais l'envie d'encore fusionner rock et littérature dans le futur ? J'ai un projet avec l'écrivain Lydie Salvayre. Elle a écrit une dizaine de livres dont « La puissance des mouches » et « Les belles âmes ». Comme Hyvernaud, elle est libre dans sa tête. Son écriture, qui n'épargne personne, possède aussi un beau sens du rythme. On lui a proposé de monter un spectacle pour Avignon cet été et elle a accepté à condition que j'écrive la musique. Comme c'est un écrivain que j'adore, je ne pouvais pas refuser. Avec Marc Sens, avec qui j'ai joué en septembre aux Nuits Botanique, nous avons accompagné une lecture du « Paysage avec palier » de Bernard Walhet lue par Jean-François Stévenin. Deux heures de direct sur France Culture, c'était vachement bien. Electrique mais vachement bien

Un mot sur le coffret Noir Desir ? Vous n'aviez pas des chutes de studio intéressantes ?

Nous en avons quelques-unes à gauche et à droite mais rien de bien exceptionnel. En fait, je n'ai pas grand-chose à dire sur ce coffret. Je crois qu'il est plutôt pas mal pour les gens qui ne connaissent pas le groupe. Pour le reste, je trouve que notre version d'« Helter Skelter » sonne bien.

Noir Desir planche actuellement sur un nouvel album. Qu'est-ce que tu peux nous en dire ?

Je ne peux pas en parler parce que nous sommes en train de l'écrire. Je ne sais pas ce que ça va donner, je ne sais pas si ce sera une vraie révolution musicale pour Noir Desir, c'est trop tôt. Tout ce que je peux dire, c'est que nous avons déjà quatre chansons et que nous allons enregistrer le disque dans les prochains mois. Il devrait sortir, soyons réalistes, en septembre.

Album « On croit qu'on en est sorti » (Universal).

Georges Hyvernaud « La peau et les os », en poche, 158 pp., 181 F (4,51 EUR).

Entretien Philippe Manche, mercredi 7 février 2001

merci à Chach'