Serge Teyssot-Gay
Impressionné par la lecture de "La peau
sur les os" de Georges Hyvernaud, Serge Teyssot-Gay
a décidé de porter à l"écran de sa musique (l'abum "On
croit qu'on en est sorti"), les mots coupants et la densité
de l'univers de cet écrivain mort en 1983. Après le superbe "Silence
Radio" (1996), le guitariste de Noir Désir poursuit donc ses
expériences solitaires en réussissant pleinement cette rencontre
illustrative entre une prose sèche et la rigueur altière et sans
complaisance de sa propre musique.
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En concert à Rennes (sur la
lancée d'une longue tournée nationale en compagnie des Hurleurs
et de Théo Hakola), il s'est présenté tout seul en scène, seulement
accompagné par des bandes musicales. Entouré de deux grands
visages peints par Paul Bloas (qui a réalisé et conçu tout le
visuel de l'album), Teyssot-Gay a donné vie pendant trois quart
d'heure à ces superbes textes dans un étrange voyage initiatique
en terre de bosses et de friches. Statique, concentré, terriblement
présent au centre de cet exercice difficile, il a confirmé en
scène la pertinence de son projet, éclairé encore un trajet
artistique radical et émotionnel. |
Interview
" Tout ce qui est bien
réglé, bien pensé, les cases et les casiers... "
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Comment es-tu arrivé à cette prose peu connue de Georges
Hyvernaud ?
Serge Teyssot - Gay :
Un ami m'avait mis dans les mains
"La Peau et les Os" , persuadé que le livre allait
me plaire. J'ai été conquis par le style, la langue, toute cette
thématique de l'enfermement au sens large qui s'en dégage. Hyvernaud
était prisonnier dans un Oflag, un camp pour officier pendant
la Seconde Guerre Mondiale. Il y est resté enfermé pendant cinq
ans... Il écrivait déjà avant d'être incarcéré, était un homme
de culture. Dans cette situation, il s'est retrouvé coupé de
toute sa nourriture préférée, sa nourriture intellectuelle.
Pour survivre, pour tenir, il a commencé à écrire ce livre qu'il
a terminé chez lui à Paris en revenant du camp. C'est un roman,
pas un livre autobiographique même si Hyvernaud s'est inspiré
de tout ce qu'il a vécu. Cela lui permet de garder une certaine
distance. Ce livre m'a fait du bien : Hyvernaud est quelqu 'un
qui aimait profondément la vie. C'est sans doute pour celà qu'il
était si dur avec tout ce qu'il trouvait insupportable, tout
ce qui était bien réglé, bien pensé, les cases et les casiers... |
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Le livre a été très mal
perçu à sa sortie, dans cette époque où l'on ne voulait pas
trop regarder en arrière...
Serge Teyssot - Gay :En France, à ce moment là, il fallait
absolument faire des héros, des anciens combattants, repartir
sur du positif. Il a donc été mis rapidement sous le tapis,
comme pour cacher la merde au chat... Un écrivain comme Hyvernaud
est très mal arrivé dans
l 'époque. Il dérangeait profondément dans sa manière
d écrire et, surtout, dans ce qu'il racontait...
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C'est aussi un époque de grands engagements politiques
pour les intellectuels et les écrivains...
Serge Teyssot - Gay : Cette façon de se raccrocher à
une forme de morale, à une forme
d'héroïsme, le gênait profondément... La guerre
n'a rien de convivial. Lui préférait parler de ce qu'il avait
en tête. C'était un homme d'idées qui refusait les compromis
et la soumission à toutes autres formes politiques, morales
ou religieuses. Son second bouquin a été aussi mal accueilli
et il a progressivement arrêté d'écrire. Je pense qu'il en
a été blessé profondément. Il a continué à exercer son métier
de professeur. Sa femme fait tout ce qu'elle peut depuis sa
mort pour faire connaître son travail. Elle a aimé cette idée
de faire un disque à partir
d 'extraits de "La Peau et les Os". Il
restera peu d'inédits d'Hyvernaud, après la parution bientôt
de leur correspondance. C'est étonnant de voir à quel point
ils sont les mêmes, tous les deux très proches dans leur façon
de penser.
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Tu es passé par le chant
avant d'arriver à cette voix parlée ?
Serge Teyssot - Gay : Pour les premières maquettes, je
me suis isolé pour pondre quelques thèmes très simples, sur
huit mesures, que je répétais ensuite pendant de longues minutes.
Ensuite, je trouvais rapidemment dans le livre l'extrait que
j'allais garder, qui collait. Si le travail est parti de la
musique, la mise en forme était faite, elle, entièrement pour
le texte. J'ai travaillé tous les jours pendant une longue période
de huit mois. Je ne savais pas trop où j'allais. Je me suis
ensuite fixé un délai de quatre semaines pour finir, pour arrêter
de tourner autour du pot, me lancer alors qu'il y avait à peine
un tiers du disque final sur les bandes. Les voix, à mon sens,
ne devaient pas ajouter au pathos. Ce n'était pas la chose à
faire avec les mots
d' Hyvernaud, avec son écriture sans artifice...
J'ai enchaîné les prises de voix, en les écoutant, en revenant
sur les détails pour chercher ce moment où tu sens que tu tiens
enfin la bonne version. Sur certains morceaux (comme "Le
camp des russes"), j'ai même fini par enlever la plupart
des arrangements pour ne garder que le thème et la voix.
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Tu as choisi l'artiste
brestois Paul Bloas pour illustrer ton disque...
Serge Teyssot - Gay : Je l'ai rencontré par Noir Désir.
Il a souvent utilisé des bouts des textes de Bertrand (Cantat)
pour ces grands bonhommes qu'il peint sur les murs. Ils se connaissent
depuis longtemps. Ensuite, il a rencontré tout le groupe et
nous sommes devenus potes. Je lui ai passé les maquettes en
lui demandant de réfléchir à la pochette.
J 'étais intéressé par ce travail qu'il avait fait à Brest,
dans la plus vieille prison de France, enfermé deux mois à l'intérieur
pour peindre. C'est un type très vivant. On va dire que nous
avons certains univers en commun. |
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Quel est le quotidien de Noir Désir
en ce moment ?
Serge Teyssot - Gay : Nous essayons de faire de nouvelles
chansons, de préparer un album. Nous ne savons pas du tout
quand il sera terminé, ni à quoi il va ressembler. Nous prenons
toujours énormément de plaisir à jouer ensemble, en tout cas..
Il y a un petit côté bilan dans ce coffret
best-of "En Route pour la Joie", non ?
Serge Teyssot - Gay : Tu veux dire qu'on n'est pas loin
de crever (rires)?
Oui, on peut le voir comme ça. Le projet vient de la maison
de disque qui nous a proposé une liste de morceaux. Nous l'avons
trouvée bien parce qu'il y avait des inédits, des versions rigolotes.
Mais, nous sommes déjà partis ailleurs...
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propos recueillis par goulven hamel
photos © webstub
cette interviw provient du site www.newmag.fr
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