Emmené par le charismatique Rodolphe Burger (guitare et chant) et Philippe Lamiral Poirier (saxophone et guitare), Kat Onoma ressurgit de sa campagne vosgienne avec un septième album concocté en compagnie du producteur francophile Ian Caple. Le groupe poursuit son aventure discographique, interrompue momentanément par divers projets solo, en compagnie d'un quatuor à cordes et d'un chœur gospel rhabillés d'effets électroniques. Conciliant guitares et samples, le nouvel épisode de la saga du collectif strasbourgeois, Kat Onoma, comme son nom l'indique (en grec) arpente un petit bout de terre tourmentée entre rock, jazz et blues.
Kat
Onoma: On a l'impression d'avoir
bouclé un truc en 1997 avec le double album live Happy Birthday Public.
Il ne contenait aucun inédit mais il nous a permis de revisiter entièrement
notre répertoire en utilisant l'acoustique. On a remis les choses à plat,
on s'est débarrassé de quelque chose. Après, il y a eu un arrêt de quatre
ans et les projets solo de chacun se sont concrétisés. On aurait très bien
pu ne pas enregistrer ce dernier disque. Rien ne nous y a obligés. Notre
optique, c'est de ne pas se forcer. Pas à faire de la musique ensemble,
cette envie-là existe toujours. Non, c'est avoir envie de faire un disque,
de tourner, de faire de la promo. Cette décision-là, on la soupèse longuement
et cette fois-ci, ça a été une vraie prise de tête. Mais une fois que la
décision a été arrêtée, on a été très heureux. Ce nouvel album est décomplexé,
il a quelque chose d'évident. À la fois une désinvolture et une grande liberté
d'être là où l'on doit être.
Amazon.fr:
Vous avez enregistré avec un quatuor à cordes et
un chœur gospel. N'avez-vous pas craint de perdre votre identité musicale ?
Kat Onoma:
Dans Kat Onoma, chacun a sa spécialité, mais nous n'avons pas envie que
les choses se formalisent entre nous. Donc, les croisements entre notre
vision et celle des musiciens qu'on admire sont essentiels. On aime se mettre
dans un jeu musical de ping-pong et il y a depuis toujours des gens qui
participent régulièrement à différents stades ou étapes de Kat Onoma. Les
techniciens sont partie prenante du processus, autant que les gens qui écrivent,
comme Olivier Cadiot, Jack Spicer/Thomas Lago ou Pierre Alféri, et ceux
qui travaillent le côté visuel. Mais c'est vrai que nous avons été effrayés
à l'idée d'être l'objet de débordements. On avait des tas de résistances
par rapport aux dangers et aux difficultés d'intégrer le quatuor à cordes
et les chœurs de la London Academy aux guitares, parce qu'on savait qu'on
n'allait pas réadapter nos guitares et qu'il faudrait faire avec. C'est
ce qui nous attirait et ce qui rendait aussi cette collaboration difficile.
Mais on a su gérer l'entreprise, et la rencontre, au moment de l'enregistrement
dans la chapelle, a effacé la question de l'appréhension.
Amazon.fr:
Pourquoi avoir choisi Ian Capple, connu surtout
pour son travail avec Tricky et Tindersticks, pour produire cet album ?
Kat Onoma:
Je l'ai rencontré au moment du mixage de « Samuel Hall », chanson
que j'ai composée pour l'album Fantaisie
militaire, d'Alain Bashung. Ses expériences le désignaient particulièrement
pour ce projet, d'autant plus que Capple est quelqu'un qui adore travailler
avec les Français, c'est un Anglais francophile. Il l'a prouvé en enregistrant
Fantaisie
militaire avec Bashung ou Faux
mouvement avec Autour de Lucie. C'est un producteur qui participe
du début jusqu'à la fin, pas quelqu'un qui n'apporte qu'un avis stylistique.
Il participe pleinement sans instiguer ses trucs, il sait donner de la clarté
et de la transparence au projet. Il avait écouté tous nos disques, y compris
les divers projets solo et les maquettes du nouvel album. C'était l'homme
de la situation, capable de faire beaucoup de suggestions. Il y a quelques
années, on aurait aimé enregistrer avec Daniel Lanois, à l'époque où il
produisait Dylan, l'album Time
Out Of Mind contient des moments extraordinaires.
Amazon.fr:
Vous réinterprétez souvent de façon différente
vos propres morceaux. Considérez -vous que, même enregistrée, une chanson
n'est jamais finie ?
Kat Onoma:
Une chanson telle qu'elle est sur le disque est liée à un processus. C'est
différent sur scène où intervient la connivence avec notre propre public.
Le public réagit à ses déplacements, il est très sensible aux variations.
Le nouvel album a cette dimension un peu live, sans préméditation, même
si on n'est pas dans l'improvisation pure. Et puis, c'est une attitude générale
chez Kat Onoma, une façon de sauver quelque chose, d'exploiter toutes les
possibilités qui auraient pu être explorées et qui ne l'ont pas été. Au
début de Kat Onoma, on faisait beaucoup de reprises de standards gravés
dans la mémoire collective, comme « Be Bop A Lula » (de Gene Vincent)
ou « Wild Thing » (des Troogs). C'est un contrepoint immédiat
qui permet de se positionner par rapport à nos références. Tu peux aller
chercher une note et glisser dans l'ellipse. C'est déjà un geste, on est
dans une espèce de relief, la version 3D de l'écoute. Dans une connotation
plus historique, on s'insurge contre l'idée fausse qui veut que la musique
se démode, qu'une mode vient en écrabouiller une autre. C'est tout le contraire,
on bouge on évolue mais tout est contemporain. La reprise, c'est sauver
quelque chose, le rendre actif.
Amazon.fr:
Quels sont les derniers disques qui vous ont intéressés ?
Kat Onoma:
Ces derniers temps, on ne peut qu'être sensible à ce qui se passe musicalement.
Y a des tas de trucs fantastiques dans la forme électronique très abstraite,
l'électronique allemande par exemple. Quelqu'un comme Leila (avec Like
Weather) a une démarche que je trouve magnifique, utilisant à merveille
la technique du home studio. Quand je pense à ce qu'a fait cette nana toute
seule dans sa piaule, je tombe le cul par terre. C'est carrément renversant.
Je ne sais pas pourquoi son premier album est beaucoup mieux réussi que
le deuxième. C'est un mystère, sauf si elle s'est fait aider par Aphex Twin.
C'est trop fort ! Un minimalisme de la composition, une perfection
de son, de texture électronique : j'adore ! On écoute depuis toujours
plusieurs genres de musiques, on a une oreille assez attentive à ce qu'on
appelle les musiques ethniques. J'ai un voisin, musicien et pilote de ligne
qui rapporte des trucs insensés, comme des fanfares indiennes, très loin
de ce qu'on appelle habituellement la world music. Après, il y a un problème
de marché, de visibilité : comment les gens sont au courant de ce genre
de musique ? Quelle presse lire ? Quelle radio écouter ?
Internet répond-il à ces questions ?
Amazon.fr:
Vous avez rencontré d'innombrables difficultés
tout au long de votre carrière, changements ou faillites de labels, n'avez-vous
jamais eu envie de laisser tomber ?
Kat Onoma:
Malgré les difficultés, on s'est toujours débrouillés pour avoir la possibilité
d'enregistrer. Notre réponse a été de se fabriquer une situation où l'initiative
reste possible. Par exemple, le disque live nous revient entièrement puisque
notre entourage professionnel n'en voulait pas. Ce genre de démarche a toujours
été pour nous la façon de réactiver les choses. Mais on a aussi eu des coups
de chance incroyables. Notre premier disque, Cupid, enregistré sans
argent sur notre label Dernière Bande, a été distribué par Just'In, le label
d'un type qui passait par là et qui venait de virer sa cuti. Il avait écouté
de la pop anglaise jusqu'à plus soif, et tout d'un coup il s'est mis a écouter
John Lennon. Il avait zéro balle et à lui tout seul, il a fait toute une
agitation qui a permis au disque d'exister. Kat Onoma a eu très tôt des
soutiens d'individus isolés, quelques personnes en radio, en télé qui, à
un moment donné, craquaient sur notre musique et nous permettaient de parasiter
les périodes de découragement. Si personne n'avait pris le relais, on aurait
très bien pu s'arrêter. Je pense d'ailleurs qu'il y a plein de groupes qui
se sont arrêtés pour cette raison, par manque d'exposition. On a toujours
été dans une phase très fragile, qui nous fait ressembler à un jeune groupe.
Les jeunes musiciens ont donc un œil sur nous, ils peuvent facilement s'identifier,
ils sentent bien qu'on a un parcours qui correspond à leurs propres difficultés.
Les choses sont plus faciles maintenant mais je ne sais pas comment on a
tenu.
Amazon.fr:
Les projets parallèles ont-ils donné au groupe
une occasion de tenir dans les moments les plus difficiles ?
Kat Onoma:
Dans Kat Onoma, est incluse depuis le début cette possibilité. Le groupe
est un lieu où on met en commun. Dans cette optique, les projets solo élargissent
le spectre et enrichissent la perception de la musique. Ils nous stabilisent.
C'est sain d'aller voir ailleurs.
Amazon.fr:
Après avoir travaillé avec Doctor L Meteor
Show ou Zend Avesta Organique,
allez-vous leur demander de réinterpréter ou de remixer certains de vos
morceaux ?
Kat Onoma: On ne se pose pas cette question. Ce qui est emmerdant avec le remix, c'est la situation de commande. C'est mieux quand quelqu'un nous demande instantanément de bosser sur tel ou tel morceau, ou quand le remix casse tout mais reste dans un rapport essentiel. Comme celui de Gonzales avec Autour De Lucie. C'est un jeu avant tout. Propos recueillis par Sabrina Silamo - www.amazon.fr |