1  Intro 
  2  Que sera votre vie ? 
  3  Be bop de beep 
  4  Family dingo 
  5  Magic 
  6  Parade 
  7  Soirs de sam 
  8  Ghosts drip 
  9  Old trouble 
  10  Ballade mexicaine 
  11  Tragic muse 
  12  La scie électrique 
  13  Change blues 
  14  Piste 14 

Entretient de Rodolphe Burger au sujet de Kat Onoma
   
Kat Onoma , l'interview d'Amazon.fr

Critiques

Peu de groupes de rock français possèdent un son aussi distinctif que celui de la formation d'origine strasbourgeoise Kat Onoma. A la racine de cette identité, construite dès les débuts du groupe, il y a quinze ans, la façon très mature de revendiquer une apparente contradiction. Les chansons créées par Rodolphe Burger (guitariste et chanteur), Philippe Lamiral Poirier (guitariste, saxophoniste), Guy Bix Bickel (trompettiste), Pierre Keyline (bassiste) et Pascal Benoît (batteur) assumaient à la fois un respect fasciné pour la mythologie rock et une ambition formelle prenant toute liberté.

Les modes ont beau se bousculer, Kat Onoma reste fidèle à sa couleur primaire (le bleu nuit). Six ans après son prédécesseur (Far From The Pictures), ce cinquième album studio (Kat Onoma) perpétue un style et des audaces qui, cette fois, ont aussi été nourries d'expériences individuelles.

La face la plus hantée du blues constitue un socle immuable. Sur des tempos qui évoquent souvent une marche altière, les guitares détachent des échos crépusculaires, écrins d'une voix à la fois ténébreuse et distanciée. Basse et trompette donnent volontiers du volume à cette contemplation lancinante. Comme si de vastes paysages américains étaient redessinés avec un sens très européen de l'élégance. Longtemps, le groupe n'a pu imaginer ses chansons qu'anglophones. Sa plus grande réussite aura pourtant été, au bout de quelques années, de confronter le français à cette tradition stylisée. Avec Alain Bashung, le groupe mené par Rodolphe Burger, un ancien prof de philo, aura été l'un des seuls en France à proposer un vrai travail littéraire sur les mots du rock (Le Mondedu 20 janvier).

QUELQUES ANNÉES DE JACHÈRE

Si Kat Onoma a souvent rendu hommage à la profondeur cachée des pionniers de cette musique en reprenant des titres de Gene Vincent, Eddie Cochran, des Troggs ou des Everly Brothers, son univers s'est affirmé à la rencontre d'une écriture contemporaine.

Ce parti pris s'est encore accentuée en marge du groupe. En laissant quelques années leur territoire commun en jachère, les Alsaciens ont pu s'aventurer en solo sur d'autres planètes. Rodolphe Burger, surtout, a multiplié les expériences. Des collaborations avec Françoise Hardy, Iggy Pop ou Alain Bashung (pour qui il a cosigné Samuel Hall, avec l'écrivain Olivier Cadiot), un single anti-FN sous le nom d'Egal Zéro, la sonorisation du tram de Strasbourg, un premier album solo, Cheval-Mouvement, puis un deuxième, Meteor Show, qui plongeait dans les méandres de l'électronique en compagnie du producteur Doctor L et de plumes comme Anne Portugal, Eugène Savitzkaya ou Pierre Alféri, avant une étrange promenade linguistique en terre welche, toujours accompagné de Cadiot, pour le mini album On n'est pas indiens, c'est dommage.

L'album Kat Onoma profite aujourd'hui de ces voyages qui enrichissent le groupe sans le bouleverser. Des titres comme Be Bop de Beep, Magic ou Change Blues déroulent une trame familière de road-movie noctambule. Stylisés avec prestance, guitare solide, cuivres profonds et cordes mordorées tirent Dylan et Chris Isaak du côté des sombres langueurs d'un Nick Cave.

A l'instar de celles de Lou Reed, les scansions graves de Burger tiennent les émotions à distance. Aux conventions du pathos, le groupe préfère une manière oblique d'éveiller les sens. Aux auteurs de jouer ici leur rôle. Kat Onoma a de nouveau adapté deux poèmes (Ghosts Drip, Ballade mexicaine) de Jack Spicer, écrivain américain (pré-beat generation) qui avait déjà inspiré l'album Billy The Kid. Olivier Cadiot, Pierre Alféri-Thomas Lago, Oscarine Bosquet proposent des énigmes qui savent ne pas séparer le cérébral de la sensualité.

L'HYPNOSE DES BOUCLES

En ouverture, la dimension prophétique de Que sera votre vie ?, signé Thomas Lago, se pare d'une rigueur robotique sans abuser des machines. Celles-ci s'emballent en revanche, à coup de breakbeats esquintés, dans Family Dingo, métaphores de l'instabilité mentale. Elles piègent aussi le boogie-gospel de Old Trouble, strient de brisures industrielles l'atmosphère étouffante de La Scie électrique. Autant que les sons, les mots se laissent prendre par ce goût nouveau pour la fragmentation et l'aptitude hypnotique des boucles.

On se dit parfois que l'impact de ces chansons serait plus fort si la hauteur aristocrate de Burger se fragilisait, si l'exigence esthétique chancelait un peu au profit de l'humain. Quelle puissante liqueur, tout de même ! On saluera, à cette occasion, l'exceptionnel travail de Ian Caple à la production. Cet Anglais dont on avait déjà admiré les matières soyeuses et noires dans Fantaisie militaire, d'Alain Bashung, s'est montré, dans le passé, aussi à l'aise dans l'âpreté futuriste (Tricky) que dans le velours classique (Tindersticks). Un profil qui ne pouvait que convenir à Kat Onoma.

Stéphane Davet - Le Monde