Article parut dans magic en 1996 sur le premier album solo de Serge Teyssot Gay: Silence radio

FREQUENCES GAY

En congé sabbatique du plus grand groupe français de rock actuel, Serge Teyssot-Gay a profité de l'occasion pour s'échapper en solo. Loin de la guitare furibarde de Noir Désir, il offre aujourd'hui une autre facette de son talent et de sa sensibilité. A peine remis de cette expérience dont il n'attendait rien, le voici face à lui-même et ce surprenant Silence Radio.

Fin 94, Noir Désir donne le dernier concert du Tostaky Tour. Les lumières se rallument, la salle se vide, les quatre Bordelais viennent une nouvelle fois de tout donner. Peut-être plus encore car Bertrand, Serge, Fréderic et Denis savaient avant de monter sur scène qu'une longue et nécessaire séance de repos les attendait après cet ultime show. Comme cela leur est souvent arrivé depuis leurs débuts et après chaque étape importante, le groupe se ménage une pause. Histoire de décompresser, histoire aussi de s'aérer pour mieux se retrouver. Pourtant, et même si personne ne le sait encore, pour Fréderic, le fidèle bassiste, l'aventure est terminée. Il raccrochera quelques mois plus tard, las mais heureux d'avoir vécu une belle histoire. Bertrand et Denis reprendront su service un peu avant car ils ne laisseraient à personne et de mixer les morceaux du live qu'ils se sont promis de sortir.

Quant à Serge, depuis longtemps déjà, il attend ce moment-là. Car aujourd'hui, il se sent prêt. Prêt à réaliser un truc qui le travaille depuis des mois. Peut-être des années : sortir un disque. Son disque :

" Mon premier souci a été d'en informer les trois autres. Je ne voulais pas que cela les dérange mais ils ont tous été d'enfer et m'ont encouragé : " Vas-y Sergio, fonce". Tu parles etJe me suis lancé sans savoir à quoi ressemblerait le résultat final. Je n'envisageais pas de sortir un disque. Je ne l'ai su qu'à la fin ".

Pour l'instant donc, il pare au plus pressé : définir le cadre du projet et acheter un huit pistes :

" Je voulais travailler seul, sans producteur. En groupe, il faut une personne pour canaliser les énergies et les idées mais seul, le résultat est forcément plus cohérent. Le danger, c'est de tourner en rond. C'est pour cela que je me suis donné des échéances. J'ai senti le moment où j'aurais pu ne rien faire & J'ai voulu enregistrer chez moi. On a trop tendance à rajouter une batterie, par habitude. Pour moi, pas de risque, je ne sais pas en jouer et je n'ai pas de boîte à rythmes. Les seules percussions, c'est ce métallophone, le jouet d'une de mes gamines que j'ai retrouvé à la cave & "

Pendant six mois, Serge va accumuler les idées, les sons :

" J'ai procédé comme je le fais pour le groupe - avec une guitare électrique qui n'est jamais branchée et un walkman - mais j'ai avancé comme si je faisais un puzzle. Certains composent de très belles chansons en plaquant des suites d'accords. En ce qui me concerne, j'ai plus cherché à creuser dans les harmonies. Ensuite, mon travail a été de recouper les sons, de faire du bout à bout pour qu'au final, il en sorte un puis plusieurs morceaux ".

La plupart des idées ont pris des mois à voir le jour, voire pour certaines des années. Man Hunt et Virus sont deux morceaux sur lesquels Noir Désir avait travaillé. Sans résultat :

" Je propose toutes les idées qui me semblent intéressantes à Bertrand. Si ça lui déclenche quelque chose, cela devient un morceau pour le groupe,on laisse tomber ".

Un ensemble neurasthénique

Le 1er juin 95, notre Bordelais se retrouve au pied du mur. Barclay a accepté de sortir son album et dans quinze jours, il doit commencer les enregistrements :

" Je ne voulais pas que ce disque sorte sur la même maison de disques que Noir Désir. Par principe, mais tout le monde chez Barclay s'est enthousiasmé & "

En quinze petits jours, six titres sont en boîte. Un seul pose problème :

" Pendant longtemps, Sun Looms n'est resté qu'à l'état d'ébauche avec une guitare et le chant. Je ne l'ai fini qu'à l'automne en l'habillant avec quelques bruitages, principalement des sirènes. C'est un morceau qui ne collait pas avec le reste ".

Le reste, comme il dit, ce sont six miniatures un peu barrées à base de riffs distordus et d'effets bizarroïdes. Un ensemble neurasthénique et cohérent qui présente un Teyssot-Gay à la sensibilité toujours à fleur de peau mais contenue, canalisée. Impression renforcée par une voix en retrait, presque étouffée :

" J'ai plus utilisé ma voix comme un instrument. Ce n'est pas parce que je chante que je suis chanteur & (Sourire). Par contre, il me paraissait logique que ce soit en anglais parce j'écoute principalement de la musique anglo-saxonne depuis que je suis gamin ".

Pourtant, et curieusement, les textes - qui décrivent un monde imaginaire en voie de disparition - ont été écrits en français puis traduits :

" J'ai rempli des cahiers entiers de mots. J'ai procédé par associations d'idées. Chaque idée correspond à une image Ensuite, effectivement, j'ai demandé à un copain anglais de tout traduire. C'est le seul type qui soit intervenu dans mon histoire & C'est avec lui que j'ai découvert que j'écrivais de pures horreurs ! "

Comme de bien entendu, Bertrand Cantat, l'ami de toujours, a suivi de près l'avancée du travail :

" C'est le seul à qui j'ai fait écouter des extraits. Il m'a tout de suite proposé ses services au chant. Dans mon esprit, j'avais plutôt pensé à Rodolphe Burger de Kat Onoma, qui est un ami. Mais lui m'a dit de me lancer, que j'avais une voix intéressante. J'avais besoin de leurs encouragements parce que j'étais tout seul. Bertrand a été très agréablement surpris par le résultat. "

Inutile de préciser que cette première expérience, même si elle n'a pas de suites dans l'immédiat, aura des conséquences certaines sur la future orientation de Noir Désir :

" Je suis sûr que ce disque va changer mon approche et ma méthode de travail avec le groupe. Je ne sais pas encore comment mais je le sens. Tu sais, nous évoluons sensiblement en ce moment, au niveau des ambiances musicales. J'ai l'impression, même si ça paraît pompeux, de sortir grandi de cette aventure. Ca m'a fait vraiment du bien. Je me suis énormément surpris ".

Soupape de sécurité

D'autres le seront également car comme Serge le dit avec beaucoup d'humour :

" Silence Radio n'est pas un album de gratteux ".

Mais le petit guitariste est fier de son bébé, assez pour avoir accepté de le sortir :

" En effet, ce n'est pas la première fois que je m'essaye en solo mais rien n'était arrivé à terme. Tu vois, sans Nightmare, ce disque n'aurait peut-être pas vu le jour. Il y aurait manqué quelque chose. Je voulais qu'il y ait plusieurs ambiances. C'est pourquoi, aujourd'hui encore, avec le recul, je suis satisfait ".

Suffisamment en effet pour qu'il accepte de le sortir sous son propre nom, une idée qui ne l'enchantait pourtant guère :

" Au départ, je trouvais cela un peu prétentieux & Je voulais prendre le nom de Silence Radio. Et puis, dans mon entourage, on me l'a déconseillé. Finalement, je me suis dit : " Comment tu t'appelles ? Serge Teyssot-Gay ? Tu n'as qu'à mettre ça " (Sourire) & Etant donné que je suis bien avec ce disque, cela ne me gêne plus ".

Au contraire, même :

" J'ai fait ce disque par manque, par nécessité. Je crois que pour un groupe, c'est ce qu'il y a de plus sain. Un album solo, c'est une soupape de sécurité. Pour moi, c'est le début d'une histoire. Maintenant, je vais commencer à m'amuser ".

 

Magic n°6, Janvier/ Février 1996