Le "Silence Radio" de Sergio lundi 15 janvier 1996, par Stéphane Jonathan.

Entretien avec Serge Teyssot-Gay réalisé par téléphone en janvier 1996, quelques jours avant la sortie de son premier disque solo, « Silence Radio »

 

« SUD-OUEST » : Pourquoi sortir un album solo ?

S.T-G. : J'adore jouer. Je passe mon temps à ça. Puis erst venu l'envie de faire écouter ce que j'avais fait. On a fait un break de huit mois avec le groupe. et pendant cette période, j'ai bossé dans mon coin. Comme je le fais d'habitude : avec une gratte et un petite walkman. Je note des idées. J'ai accumulé sur les premières semaines suffisamment d'idées pour me donner envie d'aller plus loin. Je me suis alors dit « pourquoi pas monter des morceaux, pourquoi pas chanter ? ». J'avais du temps devant moi. Je me suis dit « essayons ». j'ai même fait écouter des embryons d'idées à Bertrand (Cantat, le chanteur de Noir Désir, NDLR) et à Rodolphe Burger de Kat Onoma, pour avoir leur envie.

« S-O ». _ Tu n'as pas été tenté de garder ces morceaux pour Noir Désir ?

S.T-G. : Non, parce que c'est ma vision des choses. Et non pas celle d'un groupe. Et comme les idées ne manquent pas pour Noir Désir, ça n'est pas un problème. C'était plus l'envie de créer mon propre univers, de le développer. L'instrumentation se limite aux guitares et à la voix simplement parce ce que je ne sais pas jouer d'autre chose ! Et j'avais envie de tout faire seul, du début jusqu'à la fin. Avec mon groupe, nous travaillons au contraire de façon très collective. C'était donc une expérience intéressante pour quelqu'un qui aime bien la solitude. Pendant deux ou trois mois, j'ai travaillé sur le walkman. Puis j'ai procédé à un travail de construction. un peu comme on bâtit une maison. Les idées et les notes _ tant musicales qu'écrites pour les paroles _ se sont accumulées. Je procède par associations de mots ; puis je réalise les sentiments et les images que cela me renvoie. J'ai la même démarche pour les sons.

« S-O ». _ Les musiques des morceaux dégagent tous une certaine tension, très violente. Lancinante. Les textes aussi, il me semble : je crois que tous traitent de tourments, de cauchemars ou d'une vision pessimiste du monde

S.T-G. : Le côté explicatif des choses me dérange toujours ; car je n'ai pas fait les paroles en me disant « je vais parler de ceci ou cela ». J'ai procédé par association de mots, d'abord en français. Puis j'assemblais les phrases, un peu comme un puzzle. Cela donnait des petits tableaux, que j'ai réadaptés quand tout a été traduit en anglais. Je ne voyais la signification du texte que quand tout était fini. J'ignore comment procèdent les autres. Pour moi, l'écriture de textes est un exercice nouveau. Dans l'ensemble, c'est vraiment cataclysmique. L'album parle de la destruction d'un monde. La première compo, « Vulcano » symbolise la création d'un univers ; et le disque se termine avec « Earth shrinks » (« la terre se rétrécit » parce que les humains ont fini par tout faire sauter, tout salir). Mais je n'aime pas l'expliquer parce que j'ai toujours peur que ce soit « pompier ».

« S-O ». _ Pourquoi avoir traduits les textes en anglais si tu les avais écrits d'abord en Français ?

S.T-G. : Je me suis posé la question... environ une demi-seconde ! (rires). En fait, en français, ça ne donnait rien émotionnellement. Je sais que Bertrand n'est pas d'accord. Mais bon, 80 % de ce que j'écoute est en anglais. J'ai grandi là-dedans, culturellement. Du coup, les textes en français ne me touchent pas autant. J'ai fait appel à un prof d'anglais pour que ce soit fait jusqu'au bout. Que ce ne soit pas de l'anglais fait pour les Français.

« S-O » « J'ai remarqué une alternance de climat : sur « Volcano », la voix est posée, puis déboule « Man Hunt » avec ces guitares lancinantes. puis retour à un climat plus calme avec « Waiting » pour repartir sur un tempo rapide avec « Nightmare » et la voix trafiquée. Et ainsi de suite jusqu'à la fin. Tu as voulu, tu as calculé ce contraste-là ?

S.T-G. : Complètement. Pour moi, c'est comme ça que c'était cohérent. Il n'y aurait pas eu ces sept morceaux, je n'aurais peut-être rien sorti. Ils s'enchaînent pratiquement tous les uns dans les autres. Comme cet album est court (il ne dure que 23 minutes). C'est plus une seule histoire qu'une suite de saynètes qui n'auraient rien à voir. Musicalement aussi. Mais je travaille de façon très spontané. J'ai juste une idée de l'émotion de ce que je veux que mes morceaux provoquent et j'essaye de m'en approcher le plus possible, par les mots et la musique. J'aimais l'idée des vagues, qui montent ou descendent, mêlant et alternant les moments calmes et sereins et les passages plus abruptes. Il y a plein de choses à faire en guitare. Ce que tu as pris pour du violoncelle sur « Volcano » est fait avec les doigts et le bouton de volume. Habiller un morceau en sortant des sons bizarres de ma guitare, c'est ce qui va le plus vite. Par contre, il m'a fallu six mois pour construire les chansons. Quinze jours avant le mix final, la structure des morceaux n'était pas définie. Je me suis alors fixé comme règle de mettre en boîte un morceau par jour. J'avais les éléments, mais tout était encore possible. Cet exercice aussi a permis la cohérence que je cherchais.

« S-O ». Chanter, c'est quelque chose que tu voulais faire depuis longtemps ?

S.T-G. : Non. Vraiment pas. D'ailleurs, dans Noir Désir, c'est plutôt un gag quand je chante. Mais je pense que je l'ai voulu comme ça ! oui, je continuerai à travailler en marge du groupe. Par forcément seul la prochaine fois. Enfin, pour l'instant, je bosse avec mon groupe. Alors, on verra lors du prochain break.

« S-O ». Qu'ont pensé les autres membres de Noir Désir de ton album « Silence Radio » ?

S.T-G. : Je leur ai fait part du projet dès qu'il s'est profilé. Ils m'ont tous encouragé ; et _ si je ne sais pas à quel point ils sont touchés par les morceaux de ce disque je sens qu'il respecte vraiment ce travail.

« S-O ».Après le départ du bassiste de Noir Désir, ne crains-tu pas que la sortie de ton album laisse croire que le groupe est en train de se disperser ?

S.T-G. : Ça pourrait sembler normal que les gens s'interrogent. Mais pourquoi voir les choses de façon toujours négative ?

Stéphane Jonathan - Sud Ouest