La 5 eme Fondation

Comme à son habitude, Noir Désir aura joué avec nos nerfs jusqu'au bout, même si durant ces 5 ans d'attente, ils nous ont donné de quoi patienterdiscographiquement. A peine lâché dans les bacs, "Des Visages, des Figures" risque bien de passionner les débats. Entre passion, étonnement et frustration, une seule certitude se fait jour : le grand retour de Noir Désir ne se fera pas dans l'indifférence.

 

Avec seulement 5 albums en 13 ans de carrière, Noir Désir n'est sûrement pas en quête d'un éventuel record de productivité discographique. L'épopée du groupe bordelais (Cf. Story Noir Désir: ROCK MAG no 4, 5 et 6) restant d'ailleurs le meilleur témoignage de ce constat on ne peut plus limpide. La politique du rendement, très peu pour eux ! Un nouvel opus, une tournée au forceps et une bonne période de remise en question interne, voilà le rythme auquel nous a toujours habitué le groupe. Trois ans après, en 1999, 666.667 club et un an suivant la sortie du CD de remixes One Trip One Noise, les fausses rumeurs fusaient et une éventuelle séparation était d'ores et déjà evoquée par [es plus pessimistes. Passage obligé durant chaque période calme, le flou est vite dissipé par le groupe.
Alors qu'on ne voyait rien se profiter à l'horizon, c'est le moment où Noir Désir décida d'annoncer l'arrivée d'un prochain album. Nous sommes au mois de novembre : le groupe est au Maroc pour poser les premières pierres de son nouvel effort.

Sur tous les fronts

Entre fin 99 et la sortie de Des visages, des figures, Noir Désir aura réalisé un parcours bien particulier et ne se sera pas uniquement concentré sur un seul objectif. Dans la lignée de la période qui a suivi le succès de 666.667 club, le groupe multiplie les apparitions sur des projets parallèles. Cela avait commencé en 1998 avec la reprise de Ces gens-là sur le disque hommage à Bref intitulé Aux Suivants. En octobre de la même année, Cantat monte sur scène avec les 16 Horsepower pour reprendre Fire Spirit du Gun Club qui sera pressé sur disque le CD live des Américains intitulé Hoarse).
En avril 99, le groupe accompagné d'Akosh S. interprète Working Class Hero de John Lennon à l'occasion du concert Liberté de circulation dont sera tiré une compilation live du même nom. Quelques mois plus tard, Cantat apparait aussi sur Black Session, l'album de Yann Tiersen, pour une reprise d'A ton étoile.
Apparemment, Noir Désir a décidé d'entrée de plain-pied dans une phase d'échange artistique à un rythme effréné et contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas la mise en route de leur nouvel album qui va stopper cette envie d'aller voir ailleurs. En mai 2000, le groupe apparait sur Climax avec une chanson co-écrite par Serge Gainsbourg et Alain Bashung, Volontaire. Dans l'esprit du créateur d'osez Joséphine, Cantat arbore alors son chant habituel tout en reproduisant les intonations de son hôte d'un jour. À la même période, Denez Prigent sort Irvi et Bertrand s'offre encore un duo sur le titre Daouzeg Hunvre, mais cela ne sera qu'un prélude à ce qui replacera véritablement le groupe au coelir de l'actualité. En octobre 2000, les Têtes Raides sortent leur single L'iditenté. Cette rencontre entre la chanson de rue et le rock sous-tension appareit vite comme une réussite, aussi bien artistique que commerciale, en satisfaisant deux publics pas forcément opposés.
De son côté, Serge Teyssot-Gay publie Son deuxieme album solo le 7 novembre avec On croit qu'on en est sorti, d'après un texte écrit par George Hyvernaud et décrivant l'univers des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Toujours attendu, mais ayant pris du retard, l'album n'arrivera pas tout de suite et c'est avec la sortie d'En route pour la joie, un coffret de 3 CDs, sous forme de best of comprenant des inédits et quelques-unes des collaborations assurées et assumées par le groupe depuis 1998, que Noir Désir revient sur le devant de la scène en décembre 2000.

Révolution musicale

Si le groupe a bel et bien provoqué un maximum de rencontres Sur Ces 2 dernières années, il n'en reste pas moins que chaque apparition fait plutôt office de guest star (Pardon du terme) fidèle à sa propre identité musicale. En bref, si certains titres comme Volontaire ou L'iditenté ont pu étonner, la révolution en marche n'était pourtant pas vraiment perceptible tant la touche du groupe ressortait immanquablement sur chacune de ces collaborations.
En définitive, seul le titre proposé par Bertrand et Akosh sur le double album Tibet Libre sorti le 27 Mars 2001 reste véritablement en marge de l'esprit Noir Dez.

Pourtant, ces différentes rencontres, tout autant que l'épisode One Trip One Noise, où les titres bien connus de Noir Désir subissaient un véritable lifting sonore, ne sont certainement pas pour rien dans, le virage opéré par le groupe aujourd'hui. S'ouvrant à d'autres univers, partageant l'affiche avec des musiciens d'horizons multiples, ces pérégrinations exploratrices ont certainement eu leur rôle à jouer dans l'évolution des nouvelles compositions. Avec l'incorporation d'ingrédients électroniques ou 1'uti[isation massive de cordes sur des titres préexistants, l'expérience One Trip One Noise s'est avérée réussie et a sans doute permis au groupe de prendre conscience que le travail du son pouvait offrir de nouvelles directions infinies. En ayant la possibilité de juger sur pièce grâce à cet objet étonnant, le groupe avait toutes les cartes en mains pour se décider à tenter l'aventure.
Parallèlement, du côté voix, les problèmes rencontrés par Cantat au sortir de la tournée Tostaky ont certainement joué dans l'arrivée d'un chant moins physique et plus mélodieux. Si l'apparition de 666.667 club en 96, nous avait rassuré sur sa santé en même temps que sur sa capacité à continuer de tirer sur ses cordes vocales, il n'en reste pas moins qu'il commençait à sentir le besoin de se préserver en prônant la nécessité d'une tournée moins dense lorsqu'il affirmait : "On a peur de s'enfermer dans un truc qui n'en finit pas comme cela s'est passé auparavant. Ça sanctionne une réalité (...) On en prendra compte sans rentrer dans l'obsession que tout le monde puisse nous voir." Récemment d'ailleurs, Bertrand confiait aux Inrocks : "Si mon chant a beaucoup changé sur ce disque, C'est surtout par volonté. Ce n'est pas parce que je ne suis plus capable d'envoyer le boulet en permanence." (Rires)
Sage prise de conscience ou simple volonté d'étendre son répertoire, cette métamorphose du chant constitue en tout cas la plus grande surprise d'un Des visages, des figures préparé et peaufiné depuis près de 2 ans. Une longue gestation Étalé entre novembre 99 et l'été 2001, l'enregistrement du nouveau Noir Désir s'est déroulé sur une longue période et dans différents endroits. Avec 5 ans d'écart entre la sortie de 666.667 club et celle de Des visages, des figures, le groupe a battu son record et a pris son temps avant de repartir de l'avant, mais la confection de l'album s'est aussi étiré sur la durée.
Démarrés à Marrakech en novembre 1999, les travaux ont ensuite continué dans le sud de la France au studio Recail de Nimes, dès le début 2001. Là-bas, le groupe croise d'ailleurs Manu Chao en plein enregistrement de son 2eme opus. La rencontre va plus loin qu'une simple bière partagée au bar du coin et Noir Dez l'invite à poser des parties de guitare sur Le vent nous portera. Avec Brigitte Fontaine, le contact s'enclenche différemment et se réalise finalement lorsque le directeur artistique de la diva baroque tente de joindre le manager de Noir Désir dans l'optique d'une éventuelle collaboration sur Kékéland. Au même moment, les Bordelais avaient déjà établi le projet d'inviter l'ex-égérie d'Higelin sur leur album. L'échange aboutira à 2 titres réalisés ensemble : Baby Boom Boom (disponible sur l'album de Brigitte Fontaine sorti le 21 août) et l'Europe.
Après une série de mixages assurés à New York en mai 2001, Des visages, des figures n'est pourtant pas encore tout à fait bouclé. Au début de l'été, Noir Désir invite Romain Humeau (chanteur du groupe Eiffel) à venir en Angleterre pour diriger les arrangements du titre album au studio du Manoir. A la mi-août, tout est en beite, les premières confirmations percent enfin : le 51 album du combo rock, co-produit par le Français Jean Lamoot et l'Américain Nick Sansano (Sonic Youth, Zebda, Public Enemy et IAM), sortira le 11 septembre.

Opérant un retour sur scène fracassant à partir de la mi-juillet, Noir Désir s'est occupé d'allécher les plus impatients avec une poignée de concerts donnés en France et en Hongrie, la machine est définitivement relancée.

L'effet Live

Depuis l'été 98 et la fin de la tournée 666.667 club, les apparitions scéniques de Noir Désir commençaient à se faire rares. En l'an 2000, le groupe sort bien de sa retraite relative pour soutenir le GISTI ou le Sous-Marin de Vitrolles, mais aucune série de dates n'est vraiment organisée à l'époque. Le vrai retour a donc eu lieu au mois de juillet dernier, avec 5 étapes en moins de i5 jours à Montjoux (Festival Estivalpes) le 14, à Vienne te 15, à Nîmes le 19, à Carhaix (Festival des Vieilles Charrues)[e 21 et à Lyon le 27. Le public était forcément au rendez-vous et espérait peut-être déceler une piste concernant le nouvel album, mais Cantat et les siens préféreront apparemment en conserver te secret sur le contenu. Sur ces concerts, la préférence est clairement donnée aux valeurs sûres : Tostoky, Marlène, Lolita nie en bloc, Pyromane, L'homme pressé, La chaleur, One Trip One Noise, Comme elle vient ou À l'arrière les taxis.

Concernant les nouveautés, il n'y aura pas grand-chose à se mettre sous la dent si ce n'est L'iditenté joué sur scène avec les Têtes Raides lorsque ceux-ci étaient présents comme aux vieilles charrues et Le vent nous portera débarqué sur les ondes radios dès le 15 juillet.
La présence d'Akosh S. sur scène et les quelques improvisations jazz et instrumentales données ça et là apporteront bien quelques pistes, mais le suspense entourant Des visages, des figures est bel et bien conservé.
Du 1er au 7 août, le groupe rallie la Hongrie pour une nouvelle série de concerts qui ne nous éclairera pas plus. En bref, tant que l'album n'est pas dans les bacs, Noir Désir n'aura pas encore tout à fait tourné la page. Dommage, car la transposition des dernières compositions en version live sera sûrement l'une des premières préoccupations des aficionados du groupe pour les jours qui viennent. Sur ce point encore, le quatuor a encore matière à nous surprendre et cela passera peut-être par la prochaine date prévue. Le groupe a répondu à l'invitation de l'association Tactikollectif gérée par les Zebda pour le festival "Ça bouge encore" au profit des quartiers de la ville rose. Rendez-vous est donc pris le 28 septembre à la base de loisirs de Sesquières près de Toulouse. Il y aura également Tryo, Manu Chao et les Têtes Raides. Désormais et même en pleine période d'actualité, Noir Désir prend son temps et la perspective d'une prochaine tournée en 2002 n'est pas la préoccupation majeure du groupe : "On va voir. On ne veut plus partirtète baissée pour finir concassés par des enfilades de dates. On essaie de se concentrer sur des expériences intelligentes." Comme le fait de soutenir certaines causes qui en valent la peine ou de se faire plaisir en une belle soirée d'août en allant voir Björk lors de son dernier concert parisiens.

Rock Mag - Octobre 2001